Biodiversité : En ville ou à la campagne, les oiseaux ont décliné de 30 % en 30 ans…

Pigeon domestique. Photos : Michel Fernandez

C’est le plus important et ancien recensement en France. Et le constat est déprimant. Scientifiques et associations alertent sur cette catastrophe et demandent des mesures fortes. En urgence. En dénonçant, à l’instar de Benoît Fontaine, du Muséum d’histoire naturelle, les “milliards d’euros dépensés par l’Europe dans des mesures inefficaces”.

Leurs puissants pépiements nous rassuraient lors du premier confinement silencieux. Ils n’étaient que poudre aux yeux : les oiseaux sifflaient à tire-d’aile, croyait-on, mais, en réalité, ils étaient les seuls à chanter. Pas d’autres bruits significatifs pour polluer leur chant… En réalité, ceux qui sifflent sont de moins en moins nombreux…

Le constat est déprimant. C’est Benoît Fontaine qui le dit. Ce spécialiste coordonne le programme Stoc (Suivi temporel des oiseaux communs) pour l’Office français de la biodiversité (OFB) et le Muséum d’histoire naturelle de Paris et la Ligue de protection des oiseaux (LPO) qui recense l’avifaune française depuis 30 ans, grâce à un réseau de plus de 2 000 ornithologues bénévoles. Le rapport vient d’être rendu public et confirme que de trop nombreuses espèces ont connu un fort déclin au cours des trois dernières décennies. À la ville comme à la campagne. Or, l’oiseau est un bon indicateur de la bonne santé des milieux naturels. Ils sont des “révélateurs”.

“La situation est catastrophique. Le déclin est très fort…”

Benoît Fontaine, du muséum d’histoire naturelle de Paris. Oiseaux. DR.

On mesure l’hécatombe avec quelques chiffres abyssaux : en trente ans, les populations d’oiseaux des milieux agricoles ont chuté comme jamais. Une vraie frustration de ne constater aucun progrès. Comme Dis-Leur vous l’a expliqué.

Benoît Fontaine est explicite : “Globalement, la situation est catastrophique. Le déclin est très fort. La baisse est particulièrement sensible dans certains milieux, notamment agricole où la baisse est la plus importante. Et en ville, aussi. Il y a des espèces forestières qui diminuent beaucoup également ; des espèces généralistes – que l’on peut trouver dans tous les milieux – qui baissent aussi.” Sans parler de certaines espèces qui ont perdu les deux-tiers de leurs effectifs, comme le pipit farlouse. “Il y a aussi quelques espèces en expansion et qui prennent un peu la place laissée vacante.” 

Chardonneret élégant, tourterelle des bois, hirondelle de fenêtre…

Les spécialistes ont scruté l’évolution des populations de 123 espèces d’oiseaux les plus communs dans l’Hexagone. Certes 32 espèces sont en expansion, comme le rouge-queue à front blanc ou la fauvette à tête noire, mais 43 espèces, elles, régressent, telles que le chardonneret élégant, la tourterelle des bois ou l’hirondelle de fenêtre. Les autres sont stables ou en trop faible effectif pour déterminer une tendance significative. L’impact du réchauffement climatique est également perceptible. Il a par exemple été démontré que les populations d’oiseaux se décalent vers le Nord pour tenter de rester dans les zones où la température leur convient.

Pollution, habitat perturbé, artificialisation…

Pipit farlouse. Photo : Michel Fernandez.

Les oiseaux qui se reproduisent principalement en milieu urbain, comme les hirondelles ou le moineau friquet, y ont trouvé une alternative à leur habitat naturel d’origine. Cette faune si familière est pourtant en fort déclin. La transformation des bâtiments et la rénovation des façades détruisent les cavités dans lesquelles nichent certaines espèces ; l’artificialisation toujours plus forte des milieux urbains diminue leurs ressources alimentaires ; la pollution due aux transports et aux activités industrielles a également un impact sur leur santé.

Les activités humaines font pression sur l’habitat, les resources… Les espèces ont du mal à boucler leur cycle de vie quand le milieu est trop perturbé”

Benoît Fontaine, du Muséum d’histoire naturelle

Les autres raisons de cette hécatombe ? “Les activités humaines qui font pression sur l’habitat, les resources… Les espèces ont du mal à boucler leur cycle de vie quand le milieu est trop perturbé”, soupire Benoît Fontaine. Les espèces qui disparaissent sont celles qui ont, de par leur nature, “des exigences écologiques strictes. Elles n’ont pas de solution de rechange quand leur milieu naturel change”. Il y a quelques espèces plus généralistes avec l’exemple typique du pigeon ramier, présent partout : en ville, en forêt, en montagne, les plaines agricoles, les bocages… Sans parler des hivers doux qui lui sont favorables. “Et en plus la compétition pour la ressource diminue puisque les espèces spécialisées sont en déclin, ce qui favorise les espèces comme le pigeon ramier.”

Une fausse bonne nouvelle…

Le geai des chênes ou la mésange bleue font partie des rares oiseaux capables de s’adapter et connaissent une progression démographique. Hélas, ce phénomène d’accroissement des espèces dites généralistes au détriment des spécialistes révèle en fait une uniformisation de la faune sauvage, signe d’une banalisation croissante des habitats et d’une perte de biodiversité. Une fausse bonne nouvelle, en somme…

Tourterelle des bois. Photo : Michel Fernandez.

La situation est pire pour les oiseaux inféodés aux milieux agricoles, telles que l’alouette des champs et les perdrix, qui ont perdu près du tiers de leurs effectifs en 30 ans. Le modèle agricole intensif développé après guerre et encouragé par la Pac “est en grande partie responsable, pour avoir fait disparaître ou transformé leurs habitats et pour avoir diffusé massivement des produits chimiques, dont les pesticides qui ont bouleversé les équilibres alimentaires, décimé les insectes et abîmé durablement les sols”, souligne la LPO.

“C’est un appel à une action forte qui ne dépend pas d’un appel aux citoyens”

Benoît Fontaine ne se fait pas prier : “Évidemment que ce rapport est un appel à une action forte. Et qui ne dépend pas d’un appel aux citoyens. On a besoin d’actions plus radicales qui sont possibles car on connaît les solutions. Regardez le rapport de la Cour des comptes européenne de 2020 -que l’on ne peut pas soupçonner d’être un repaire d’écolos – sur le volet vert de la Pac -, toutes les mesures qui visent à améliorer l’environnement et la biodiversité est un fiasco total. Des milliards d’euros sont dépensés par les fenêtres. C’est un fiasco total. Probablement que les mesures ne sont pas les bonnes…”

Petites exploitations peu subventionnées

Le naturaliste précise sa pensée : “Parce qu’également on subventionne énormément les grandes exploitations céréalières et nettement moins les petites diversifiées et l’agriculture biologique, toutes ces choses bénéfiques pour la biodiversité. Il y a des mesures incitatives pour les agriculteurs pour aider cette biodiversité mais c’est parfois en dépit du bon sens. Exemple : l’idée de planter des haies est une bonne idée mais on ne regarde quel type de haie l’agriculteur plante. Si ce sont des thuyas ce n’est pas pertinent.”

Ce n’est pas la faute des agriculteurs ; ils sont prisonniers d’un système hyper-compliqué…”

Il y a aussi la présence de produits phytosanitaires dans l’agriculture intensive qui accentue le déclin. Les pesticides et notamment les néonicotinoïdes sont l’un des plus gros problèmes. Ils ont un impact direct sur les oiseaux en les empoisonnant et indirect en réduisant leurs ressources, vers et insectes. La LPO a d’ailleurs le 21 mai assigné les deux principaux producteurs en France d’imidaclopride, un insecticide, pour faire reconnaître leur responsabilité dans cette hécatombe.

Hirondelle de fenêtre. Photo : Michel Fernandez.

Le naturaliste précise, de son côté : “Il y a énormément de petites solutions à mettre en place. Et ce n’est pas la faute des agriculteurs. Ils font ce qu’on leur dit de faire ; ils sont prisonniers d’un système hyper-compliqué. Il y a besoin d’un changement de politique d’aide à la biodiversité depuis longtemps. Depuis 30 ans, les politiques ne sont pas les bonnes. Il faut protéger les milieux, les insectes, les herbes folles… Même pour nous, c’est quand même plus agréable de se promener dans une campagne avec du bocage, des coquelicots dans les champs qu’au milieu d’un champ de maïs…”

Ce rapport est en phase avec une prise de conscience collective. “Elle est certaine. Certes, beaucoup de gens ne se sentent pas concernés ; ils ont d’autre soucis. Tout le monde n’est pas interpellés par ces résultats mais beaucoup le sont quand même. Il y a une aspiration collective à un meilleur environnement et une meilleure santé et cela va souvent ensemble. L’essor des magasin bios le montre bien comme le succès des écolos aux municipales. Mais les politiques sont à la traine.”

Benoît Fontaine appuie : “Il y a un manque de volonté politique. On a déjà fait ce constat il y a trois ans et bien avant : Rachel Carson dans son livre le Printemps silencieux l’avait fait dans les années 1960… Plus on avance, plus la situation s’aggrave et plus ce sera difficile de revenir en arrière. Attention, ce n’est pas revenir à la bougie ! Si on n’écoute pas le discours écologiste, on va revenir à la bougie, contraint ou forcé…”

Chardonneret élégant. Photo : Michel Fernandez

Avec une note positive, toutefois : le succès des sciences participatives. “Il y a beaucoup de bénévoles qui participent à ces enquêtes de terrain. Plus de 2 000 pour cette étude sur 30 ans. Et pour l’ensemble de nos programmes, c’est plus de 12 000 personnes bénévoles qui participent pour compter les papillons, les oiseaux, etc, pour faire des états des lieux. C’est remarquable. Cela concerne monsieur Tout le monde. Et sans eux, ce serait impossible.”

“De plus, cette participation citoyenne légitime nos résultats. Personne ne peut dire qu’ils ont été biaisés, commandés par telle firme. Ce sont des citoyens qui ne se connaissent pas entre eux qui sont allés faire cet état des lieux.” Il ajoute : “En tant que naturaliste, je peux vous dire que l’Occitanie est un joyau ; il y a une diversité incroyable, il y a plein de choses à voir. Cette région fait partie du haut du panier des régions françaises.”

Olivier SCHLAMA

  • À l’origine de plus d’une centaine de publications scientifiques internationales, le STOC permet aussi d’orienter et d’évaluer les politiques publiques en matière de conservation de la biodiversité. Ces analyses ont par exemple confirmé l’efficacité des réserves naturelles où les populations d’oiseaux se portent mieux qu’en dehors, et démontré l’intérêt des aides financières conditionnées “scénarios verts” qui doivent être développées dans le projet de la nouvelle Politique agricole commune.
  • Pour Allain Bougrain Dubourg “grâce aux nouvelles technologies, les sciences participatives connaissent un véritable engouement citoyen et offrent aux chercheurs des volumes de données considérables autrefois impossibles à recueillir. Le STOC joue aussi un rôle crucial de lanceur d’alerte qui nous démontre scientifiquement l’urgence d’agir pour sauver les oiseaux et, avec eux, toute la pyramide du vivant”.
  • Pour Pierre Dubreuil, “l’OFB contribue à de nombreux suivis d’espèces (notamment oiseaux, poissons, mammifères) et de milieux (zones humides, cours d’eau, montagne, littoral et plaines agricoles) sur le long terme. Ces séquences qui s’étendent sur plusieurs décennies sont de véritables thermomètres dont les résultats sont inquiétants, comme l’illustre le STOC. Avec l’Etat et ses partenaires, l’OFB tente d’apporter des réponses concrètes et des solutions pour agir. Il est urgent de les mettre en œuvre et chacun doit y contribuer”.

À tire d’aile avec Dis-Leur !