Biodiversité : En Polynésie, Macron au chevet de l’écosystème corallien

Edouard Fritch, président de la Polynésie et Emmanuel Macron au Criobe, un centre de recherches unique au monde partagé entre Moorea et Perpignan. Où l'on étudie le comportement des requins citrons. Photo : Olivier SCHLAMA

Le président de la République a visité mardi le Criobe, organisme de recherche unique au monde sur les récifs coralliens, “sentinelles de biodiversité”, à cheval entre Moorea et Perpignan, et inauguré le Fare Natura, écomusée mitoyen qui popularise les études scientifiques lancées en 1971, juste après les premiers essais nucléaires, notamment à Mururoa. Des solutions y sont à l’étude, notamment, pour sauver le corail, pierre angulaire d’une économie concernant un milliard d’êtres humains.

Emmanuel Macron ne se souviendra pas de la tasse colorée que le directeur de l’écomusée de Moorea, le Fare Natura, lui a offerte en partant. Moins en tout cas que la présentation de ce tiki exceptionnel – statue imposante protectrice, ressemblant à un phallus synonyme d’abondance – qu’il a eu l’honneur de dévoiler ce mardi. Huit cents ans que l’objet sacré a été façonné dans du corail – une rareté – et qui fut retrouvé par une famille de Moorea il y a un demi-siècle en réussissant à le cacher aux missionnaires évangélisant la Polynésie qui effaçaient méthodiquement les rites anciens.

Le tiki exceptionnel et le “Mana”. Emmanuel Macron visite le Criobe et inaugure le Fare Natura à Moorea, en Polynésie. Photo : Olivier SCHLAMA

C’est le moment choisi par le président de la Polynésie française, Edouard Fritch, pour expliquer in petto à Macron, yeux dans les yeux, la puissance de connexion à la nature vénérée par les Polynésiens depuis plus de 1 500 ans.

Le mana, source de puissance de la nature

Le mana, cette source de puissance de la nature qu’ils invoquent en secret. On ne sait si le président Français a ressenti ce mana mais c’est l’intention qui compte, loin des manifs des antivax dans l’Hexagone, même si au fenua la vaccination anti-covid est minoritaire (30 %). À l’extérieur, entre la visite du Criobe (ci-après) et l’inauguration du Fare Natura, c’était comme au bon vieux temps des meetings de feu le RPR : des dizaines d’habitants débarqués en cars s’époumonaient en chantant à la gloire de Macron… Peu importe, pour le dernier été de son quinquennat, il a pris un bain de foule bienfaiteur.

Un centre de recherches unique au monde

Emmanuel Macron au Criobe qui imagine des solutions pour sauver le corail. Photo : Olivier SCHLAMA

Études sur les requins ; solutions pour sauver le corail ; un venin de coquillages, des cônes, jusqu’à mille fois plus puissant que la morphine et sans dépendance… Macron a visité le Criobe ce mardi. Concentré, posant des questions, se sentant concerné. Lové au pied du mont Rotui, le Criobe (Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement) est né en 1971. Ce n’est pas le nom d’un animal étrange mais d’un organisme de recherche précurseur et atypique.

Présent aussi à l’université de Perpignan

C’était il y a juste cinquante ans. Juste après que la France eut décidé d’essais nucléaires dans le Pacifique, la puissance publique “a voulu en même temps mieux connaître la biodiversité des écosystèmes polynésiens, notamment les récifs, comment fonctionnent ces écosystèmes marins”, souligne Annaig Leguen directrice du Criobe qui a la particularité d’être présent sur deux sites à 18 000 km de distance : à Perpignan où est dispensé le savoir aux étudiants et à Moorea où les scientifiques disposent d’un “terrain de jeu” unique.

Plus d’un milliard d’humains dépendent des coraux

Selon le directeur de recherche au CNRS, Serge Planes, l’enjeu de la conservation des écosystèmes coralliens dépasse la Polynésie. C’est un exemple mondial pour la conservation de la biodiversité. “Les récifs coralliens représentent à peine 2 % de la surface des océans et en même temps 25 % de la biodiversité marine. Il existe 1 500 espèces de coraux, a ajouté l’ex-directeur du Criobe, dont dépendent économiquement plus d’un milliard d’êtres humains.” Que ce soit pour la pêche, la perliculture, le tourisme, servant de “digue” de protection…

Réchauffement climatique principale cause de mortalité

Emmanuel Macron attentif. Photo : Olivier SCHLAMA

“Grâce à ses 12 000 km2 de surface maritime, la France représente 5 % des récifs coralliens dans le monde. Il faut savoir que 1 km2 d’écosystème coralliens représente autant de biodiversité que l’ensemble des côtes françaises, de la Mer du Nord à Nice…” Des écosystèmes qui ont perdu 20 % de leurs récifs en 25 ans”, dont la cause principale est le réchauffement climatique et posant la question cruciale de l’avenir de toutes les activités qui y sont liées dont la pêche lagunaire et le tourisme. Le scientifique ajoute : “C’est un écosystème sentinelle.” Annonciateur de catastrophes naturelles ailleurs dans le monde.

Refroidir les coraux avec de l’eau froide souterraine !

Le Criobe travaille à une batterie de “solutions” concrètes pour “anticiper sur l’évolution des usages de demain”. Ses scientifiques travaillent à la restauration de récifs et aussi à leur adaptation. Comme le recours au super-corail, un corail qui s’est naturellement adapté ; la replantation d’espèces hybridées naturellement, sans OGM, et même la possibilité de refroidir le corail, via un coûteux système de tuyauteries sous-marines faisant remonter à la surface un courant d’eau profonde, baptisé le Swac… “Les solutions très coûteuses pourraient aussi être cofinancées par l’Etat et les complexes hôteliers par exemple”, a encore avancé Serge Planes en marge des explications de Laetitia Hédouin, chargée de recherches au CNRS, devant un Emmanuel Macron visiblement captivé.

Biomimétisme apporté par une société de Montpellier

Des coquillages au venin 1 000 fois plus puissant que la morphine… Photo : Olivier SCHLAMA

Seaboost, une entreprise montpelliéraine, propose même des structures fondées sur le biomimétisme : comprendre la nature et s’en inspirer… Car, l’algue qui vit en symbiose avec le corail, se retourne contre lui quand la température de l’eau bat des records. “Nous étudions les écosystèmes jusqu’à 120 mètres de profondeur. À 6 mètres, il y a jusqu’à 50 % de mortalité et à 10 mètres, à peine 10 %. On cherche à en savoir davantage”, souligne Laetitia Hédouin.

“Vous avez une solution pour les requins bouledogue à la Réunion…?”

Emmanuel Macron

A côté, Serge Planes explique la nature des recherches sur le requin, face à un requin citron de huit mois qui fera 2,80 mètres dans un an et verra son agressivité envers l’homme décupler. Il s’agit ici d’étudier tous les paramètres de vie de ce requin, de la salinité à la température, etc. Voir comment il encaisse et réagit. Car dès que l’eau se réchauffe, le requin va vivre aussi davantage en profondeur et déranger son propre prédateur : un requin plus gros capable d’en faire son repas, une mauvaise nouvelle là aussi, avec une perte de biodiversité certaine. « On va éviter d’y mettre les doigts…! » réagit Emmanuel Macron.  

Le but de ce genre d’expérience ? Savoir si on peut, “comme les ours à problèmes”, a rectifié Macron, établir un profil des requins dangereux, comme ceux, les bouledogues qui ont fait notamment parler d’eux, à  la Réunion. Emmanuel Macron s’enquiert : “Vous pouvez trouver une solution pour la Réunion, alors ?” Serge Planes dodeline.

Identifier et prélever les requins dangereux ?

Edouard Fritch et Emmanuel Macron devant un requin citron dont on étudie le comportement au Criobe. Photo : Olivier SCHLAMA

Il explique : “Nous travaillons à une cartographie génétique. Sur Moorea, il y a 800 pointes noires, des requins parmi les moins agressifs et 50 requins citrons, à l’opposé. Je pourrais vous dire les caractéristiques de chacun. Nous cherchons à débusquer ceux parmi les requins citrons sont plus à problème que d’autres pour éventuellement un jour avoir le choix de les prélever. À la Réunion, c’est différent : il y a une centaine de bouledogues, c’est compliqué : beaucoup de paramètres entrent en ligne de compte, comme la turbidité de l’eau ou l’appauvrissement des richesses locales. Il y a aussi des échanges avec Madagascar… Et puis c’est comme le masque et le covid-19 : il faut juste parfois accepter la dangerosité d’un lieu…”

Venin 1 000 fois plus puissant que la morphine

À deux pas du bassin à requin, des coquillages d’apparence inoffensive baignant dans de petits aquariums posés sur des étagères . Ce sont des cônes, endémiques à la Polynésie et produisant un venin hyper-puissant, capable d’entrer un jour dans la pharmacopée traditionnelle. Ils sont jusqu’à 1 000 fois plus puissants que la morphine et n’ont pas des effets secondaires comme la dépendance.

“Comment valorisez vous tout cela ?” demande le chef de l’Etat. “Nous nous sommes associés à une société locale qui espère arriver à en extraire suffisamment pour lancer une production.” Ensuite, il faudra en passer par toute la batterie de tests habituels, y compris sur l’homme pour en connaître tous les effets. “Nous étudions une vingtaine de molécules issues des écosystèmes coralliens”, avance encore Serge Planes. “Peut-être qu’aucune ne sera utile mais si une ou deux d’entre-elles peut marcher un jour pour en faire un médicament, ce serait bien…”

Culture orale et sens suraigu de l’observation

Emmanuel Macron a inauguré le Fare Natura à Moorea, en Polynésie. Photo : Olivier SCHLAMA

En traversant un canal où l’on a fait artificiellement venir s’écouler le lagon de la baie d’Opunohu, le Fare Natura a été pensé en forme de coquillage, le nautilus, superposé à l’évocation d’un palmier voyageur… Une poésie que l’on retrouve dans une scénographie qui fait écho à la culture orale des Polynésiens. Et de leur sens suraigu de l’observation qui est dans leur nature profonde. Ce Fare Natura présente de façon génialement simple les différents écosystèmes coralliens : tombant, lagon, littoral et barrière.

Très peu de choses à lire mais davantage à ressentir. On y comprend le syncrétisme religieux et l’empilement constant de croyances et de religions. “On a même placé à l’entrée de l’écomusée une oeuvre artistique encadré des deux légendes de Moorea, celle du lézard jaune et  de la pieuvre à huit bras”, souligne Olivier Pôté, le directeur. C’est aussi une “boîte à outils” pour former les prestataires touristiques. Avec ses 118 iles, la Polynésie, grande comme l’Europe, a de quoi faire…

Nucléaire : “dette” de la France mais pas d’excuses

La visite d’Emmanuel Macron dans l’archipel intervient alors que les Polynésiens réclament toujours des excuses de la France et des réparations pour les victimes des essais atomiques entre 1966 et 1996. Le chef de l’Etat a reconnu mardi “une dette” de la France sans présenter d’excuses. elle restera historique.

La dernière visite d’un président de la République française c’était en février 2016 avec François Hollande. La précédente ? En 2003 avec Jacques Chirac. Emmanuel Macron est en outre le premier président à s’être rendu aux Marquises, tout acquises à la France.

De notre envoyé spécial à Moorea, Olivier SCHLAMA

Moorea, la Polynésie en miniature

Les écosystèmes marins de l’île-soeur de Tahiti sont très utiles pour la recherche.

Outre le fait que Moorea cette île-jardin soit la soeur de Tahiti, à seulement 17 km de distance, dominée par le mont Rotui et accueillant la fameuse baie de Cook ; outre le fait d’être le lieu de villégiature des Tahitiens fatigués des bouchons quotidiens et de la vie qui y est parfois incroyablement trépidante. C’est aussi une nature à part.

Récifs qui meurent et d’autres qui résistent

Annaig Leguen, directrice du Criobe, à Moorea, Polynésie française. Ph. O.SC.

“Sur Moorea nous avons sous la main et à une petite échelle des récifs coralliens très différents, y compris ceux qui souffrent ou meurent du réchauffement climatique et ceux, résilients, qui y résistent.” Une Polynésie à petite échelle. De quoi permettre des études plus rapides, plus poussées et faciliter “des modélisations et des solutions” innovantes, précise Annaig Leguen, directrice du Criobe (photo), placé sous la houlette de l’Université de Perpignan, du CNRS et de l’école pratique des Hautes études où bossent à l’année une trentaine de scientifiques aguerris sur les 90 que comptent l’ensemble des deux sites.

C’est comme avec le covid : on cherche à comprendre pourquoi certains en meurent et pas d’autres…”

Mais le Criobe va au-delà : “Nous étudions les récifs coraliens mais aussi tout cet écosystème ; avec l’ensemble des organismes qui le composent” ; un écosytème qui sert de protection face à la houle permanente et qui est la pierre philosophale du tourisme. “Nous étudions pourquoi certains coraux blanchissent mais pas d’autres. C’est comme avec le covid : on cherche à comprendre pourquoi certains en meurent et pas d’autres…”

En association avec les USA et l’Australie

Le Criobe dispose donc d’un trésor :  50 ans de données et de suivis uniques au monde. Qui servent l’amélioration de la connaissance mondiale. “Tous les cinq ans, la France produit donc en association avec les USA et l’Australie un état des lieux actualisé de la santé des récifs coralliens.” Trois pays qui couvrent tout le Pacifique. “Replanter le corail bout par bout pour soigner la nature avec des espèces résistantes, ce serait impossible. Nous allons vers des solutions refuge et des solutions de recouvrement, une sorte de recolonisation globale…”

Le message de ces scientifiques est de lancer une alerte supplémentaire pour défendre “la beauté de cet écosystème”, un symbole, un exemple pour tous les autres écosystèmes au monde. “Si rien n’est faut contre l’acidification des océans ; pour changer notre mode de vie ; si nous ne sommes pas éco-responsables, alors…”

O.SC.

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