Occitanie : Le livre est à la page, la librairie veut le rester

Marie-Cécile Faret, libraire à l'Échappée belle à Sète. "On nous attend surtout sur le conseil..." 394 éditeurs de livres et de revues professionnels, employant 335 salariés, une filière qui déclare un chiffre d'affaires de 46 millions d'euros. Chiffre intéressant : 85 % à 90 % des maisons d'édition de la région vendent en direct via leur site internet. Pour autant, "le livre numérique ne dépasse les 10 % de parts de marché". Par ailleurs, 70 % des libraires n'en proposent pas. Photo : Olivier SCHLAMA

Un secteur de l’édition qui réalise 46 millions d’euros de chiffre d’affaires ; des librairies qui en réalisent, elles, 42 millions d’euros ; 258 événements autours du livre en Occitanie qui permettent quelque 1,2 million d’euros de retombées économiques directes. La filière du livre se porte bien. La situation des librairies, en revanche, connaît de fortes disparités. Le point avec Serge Regourd, président d’Occitanie Livre & Lecture, association créée en 2018 par la Région et la Drac pour dynamiser et accompagner ce secteur qui compte plus d’un millier d’auteurs. Et Cécile Jodlowski-Perra et Laurent Sterna, directrice déléguée et directeur. Ce dernier fait une proposition pour s’émanciper de l’ombre menaçante d’Amazon.

Et maintenant se déployer sur tout le territoire de l’Occitanie pour atteindre son rythme de croisière à l’échelle de la nouvelle région. Mais, déjà, président de la commission culture au conseil Régional, et président de Occitanie Livre & Lectures, Serge Regourd, s’est félicité, ce lundi 4 mars 2019, “d’une fusion modèle à tous les égards des deux anciennes agences du livre, un modèle de fusion qui servira à entre autres à la future agence du cinéma et Occitanie en Scène, agence du spectacle vivant, par exemple, toutes deux également émanations de la Région et de la Drac.”

Un bel outil pour accompagner les professionnels…”

Serge Regourd, président d’Occitanie Livre & Lecture.

Serge Regourd, auteur, entre autres, d’un Que Sais-Je sur l’exception culturelle, professeur de droit public à la fac de Toulouse, va plus loin : “La future agence du cinéma aura le même genre de mission que celle du livre : ce ne sera plus seulement un bureau d’accueil pour tournages et repérages mais bien un outil pour accompagner les professionnels…” Il ajoute : “Et cette cartographie est l’un des axes pour bien travailler cette filière…”

De g à d :Cécile Jodlowski, Laurent Sterna, directrice déléguée et directeur, et Serge Regourd et Marie-Christine Chaze, président et vice-présidente. Photo : Occitanie Livre & Lecture.

Ainsi, depuis janvier 2018, une seule et unique agence régionale du livre, Occitanie Livre et Lectures (1), remplace Languedoc-Livre et Lecture et le Centre régional des lettres Midi-Pyrénées, pour être en phase avec la fusion des deux ex-régions. Un an plus tard, cet organisme, que l’Etat, la Drac et la Région ont mis sur pieds – il emploie quinze salariés spécialisés et dispose d’un budget de 2,1 millions d’euros -, a livré une photographie du livre dans la région. Une radioscopie des plus intéressantes.

Plus de 1 000 auteurs, 390 éditeurs, 260 libraires, 1 100 bibliothécaires, 250 manifestations littéraires : ce sont de bonnes statistiques au regard des autres régions françaises.”

Cécile Jodlowski-Perra, directrice déléguée.

A la croisée ” des politiques publiques nationales et régionales”, Occitanie Livre et Lectures rassemble les professionnels d’une filière qui compte pas moins de 3 000 acteurs (1 000 auteurs, 390 éditeurs, 260 libraires, 1 100 bibliothécaires). Sans oublier 75 établissements patrimoniaux et 250 manifestations littéraires. “Ce sont de bonnes statistiques au regard des autres régions françaises”, acquiesce Cécile Jodlowski-Perra, directrice déléguée.

Librairie de Sommières. Photo : Occitanie Livre & Lecture

Le panorama exhaustif de l’agence du livre recense 1 081 auteurs. “On entend auteurs au sens large”, notent Laurent Sterna et Cécile Jodlowski-Perra, directeur et directrice déléguée d’Occitanie Livre & Lectures. “Cela comprend écrivains (à 90 %), illustrateurs, dessinateurs, scénaristes de BD (à 8 %), traducteurs issus de tous les genres littéraires.” Ils répondent à des critères précis : vivre en Occitanie et avoir publié au moins un ouvrage à compte d’éditeur en dix ans. Conformément à la démographie, les deux métropoles de la région concentrent à elles seules la moitié des effectifs. Soit 318 auteurs à Montpellier et 319 à Toulouse.

85 % à 90 % des maisons d’édition de la région vendent en direct via leur site internet. Pour autant, le livre numérique ne dépasse pas les 10 % de parts de marché. Selon le syndicat national de l’édition, la moyenne française est de 8,6 %.”

Laurent Sterna, directeur.

Parmi les genres littéraires, romans et nouvelles arrivent en tête, suivis de la littérature jeunesse et poésie. A noter la percée de la BD et de sciences humaines. En 2018, l’agence du livre a organisé deux temps forts avec une sélection d’auteurs : la rentrée littéraire de printemps à Montpellier en mars et celle d’automne à Toulouse. Par ailleurs, certaines manifestations autour du livre accueillent entre 20 000 visiteurs (Festival d’automne à Montauban) et 60 000 visiteurs (Comédie du Livre de Montpellier). “Nous pouvons estimer à 1,2 million d’euros les retombées économiques pour l’ensemble des 258 événements autour du livre en Occitanie.” Pour autant, y a-t-il davantage de lecteurs ?

Les gros lecteurs, ceux qui lisent au moins 15 bouquins par an sont de plus en plus rares. Mais selon la dernière étude du Syndicat national de l’édition, 20 % de ceux qui lisent du numérique ont tendance à ensuite lire davantage, papier inclus.”

“Les gros lecteurs, ceux qui lisent au moins 15 bouquins par an sont de plus en plus rares. Mais selon la dernière étude du Syndicat national de l’édition, 20 % de ceux qui lisent du numérique ont tendance à ensuite lire davantage, papier inclus”, confie Laurent Sterna. Le numérique a donc un effet d’entrainement. Mais la lecture est évidemment directement concurrencée par les loisirs et la pratique des réseaux sociaux, terriblement chronophage.

L’Occitanie compte également 394 éditeurs de livres et de revues professionnels, employant 335 salariés, une filière qui déclare un chiffre d’affaires de 46 millions d’euros. Chiffre intéressant : 85 % à 90 % des maisons d’édition de la région vendent en direct via leur site internet. Pour autant, “le livre numérique ne dépasse les 10 % de parts de marché. Selon le syndicat national de l’édition, la moyenne française est de 8,6 %”. Par ailleurs, 70 % des libraires n’en proposent pas. Reste que l’offre numérique croît : les éditeurs membres d’Occitanie Livre & Lecture proposent 4 775 titres, soit une hausse de 46 % par rapport à 2016. Le développement du livre numérique n’est pas encore totalement entré dans les moeurs.

Les freins sont encore nombreux comme l’absence de l’indispensable conseil du libraire ; le coût encore important du livre numérique à consommer sur liseuse ou la mauvaise “traduction” visuelle d’une BD sur écran. “Le numérique sera toujours complémentaire au livre physique comme l’a été la télévision avec la radio. On est dans une logique de superposition”, professe Serge Regourd. Mais le géant Amazon fragilise encore et toujours les librairies. (Lire ci-dessous).

Une librairie, pour créer un emploi, doit réaliser 180 000 euros de chiffre d’affaires. La question, c’est : “Comment on aide le repreneur ? Comment on le conseille ? Quelles formations peut-on lui proposer ?”

Laurent Sterna.
Librairie Clareton, à Béziers. Photo : Occitanie Livre & Lecture.

Et puis il y a la problématique des librairies. Le livre, on le trouve dans les bibliothèques. Les médiathèques. Et donc les librairies. “Nous comptons 263 librairies indépendantes en Occitanie. Avec 20 à 25 d’entre-elles déjà en situation de transmission d’ici 10 ans”, explicite Cécile Jodlowski. Ce qui n’a rien d’anodin : dans ce type de commerce culturel, il faut faire face à un stock parfois impressionnant, prévoir assez de trésorerie… “Il faut, pour un emploi, réaliser 180 000 euros de chiffre d’affaires”, complète Laurent Sterna. Occitanie Livre et Lectures justement être l’interface pour aider les repreneurs. “Comment on les aide ? Comment on les conseille ? Quelles formations peut-on leur proposer ? Etc.”

Moins de 10 % des librairies d’Occitanie réalisent un chiffre d’affaires de plus de deux millions d’euros

L’ensemble de ces librairies réalise un chiffre d’affaires global de 42 millions d’euros. Pour une moyenne qui se situe pour chacune à 732 000 euros. Il y a donc un grand écart entre les “locomotives” du secteur réalisant un chiffre d’affaires supérieur à deux millions d’euros par an et réalisant la moitié du chiffre d’affaire total du secteur en Occitanie alors qu’elles ne représentent même pas 10 % du paysage. En revanche, les petites librairies, elles, réalisant 300 000 euros de chiffre d’affaires par an représentent à peine 11,6 % du chiffre d’affaires total du secteur dans la région.

Laurent Sterna analyse cette dichotomie : “Souvent, quand une librairie est tenue par son gérant, il fait le choix de se payer ou pas… Et quand il se paie et que sa boutique tourne bien, c’est de l’ordre d’un SMIC...” Le directeur d’Occitanie Livre & Lecture rapproche cette constatation de la création récente de la part de la Région de la Carte jeunes, créditée de 20 euros, permettant de “créer du flux de clients vers la librairie”, précise Laurent Sterna.

Olivier SCHLAMA

(1) Missions. Cette association accompagne et forme les professionnels du livre ; elle crée des ressources et des outils pour eux également ; réalise enquêtes et produit des indicateurs d’aide à la décision publique. Parmi ses missions, on trouve également la promotion des auteurs et des éditeurs, participe à l’éducation des jeunes publics…
(2) Dans le cadre du contrat de filière, le secteur du livre en Occitanie dispose d’une enveloppe de 600 000 euros par an, moitié émanant de la Drac et l’autre moitié de la Région. Occitanie Livre & Lecture octroie les 300 000 euros de la région sous la forme de bourses (100 000 euros) ; d’aides aux libraires (105 000 euros) et de subventions à l’édition (100 000 euros). Mais, au-delà de ce contrat de filière État et Région dispose d’autres crédits pour aider le secteur.

“Amazon, concurrence déloyale !”

Laurent Sterna propose que la remise de 5 % autorisée par la loi Lang ne puisse être possible que pour les boutiques physiques.

Directeur d’Occitanie Livre & Lecture, Laurent Sterna dresse un constat accablant : “Amazon, rappelle-t-il, reste un concurrent redoutable pour les librairies. C’est même une concurrence déloyale ! C’est comparable avec les pratiques non encore réglementées de la FNAC dans les années 1980-1990 face aux disquaires. Amazon ne paie pas tous ses impôts en France, n’a pas les mêmes frais, notamment de loyer, qu’une librairie ; ils paient leurs employés en suivant convention collective de la manutention et non pas celle de la librairie… Le tout, en profitant de la loi Lang, qui autorise une remise de 5 %.”

Les librairies ont une mission de service public

Il prolonge : “Ceci dit, n’oublions pas que personne ne peut vendre en dessous du prix unique, même Amazon ! La seule marge pour baisser le prix, ce sont justement les fameux 5 %, souvent mis en oeuvre via une carte de fidélité. C’est pour cela que nous agissons sur différents petits leviers d’aides au secteur.” Et la fameuse loi anti-Amazon qui a consisté à interdire les livraisons gratuites ? Une grande plaisanterie !

Le groupe Chapître a suivi cette logique : il était détenu par un fonds de pension qui a décidé de le fermer, non pas parce qu’il ne faisait pas d’argent mais parce qu’il n’en faisait pas assez ! C’est dingue !”

“Tout le monde de l’édition s’est étranglé : tous le spolitiques avaient hurlé cocorico mais en fait ça n’a servi à rien. Dans la seconde, Amazon a facturé la livraison… 1 centime !” Indolore, quoi. Non, ce qui serait plus efficace, “c’est de réserver la possibilité d’une remise de 5 % aux seuls magasins physiques ; car, les librairies ont, elles, des missions de service public.” Laurent Sterna ajoute : “Amazon n’a qu’un but : faire de l’argent. A preuve, le groupe Chapître a suivi cette logique : il était détenu par un fonds de pension qui a décidé de le fermer, non pas parce qu’il ne faisait pas d’argent mais parce qu’il n’en faisait pas assez ! C’est dingue !”

Laurent Sterna décrypte également : “Ce qui se joue actuellement c’est la qualité du réseau en zone rurale et dans les centres très urbains.” Il prend exemple sur la librairie Tracteur Savant à Saint-Aubin-Noble-Val, “une coopérative qui participe pleinement à la vie du village, et celle de l’hyper centre de Montpellier, Fiers de Lettres, spécialisée dans l’économie sociale et solidaire, qui fonctionne très bien.” Et dont Dis-Leur ! vous avait parlé.

O.SC.

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