Béziers : Les bonnes recettes des demandeurs d’asile

L'atelier cuisine, des scènes "joyeuses" photographiées par Daniel Mielniczek.

Une quinzaine de cuisinières de tous pays participent à un atelier de cuisine unique au Cada géré par la Cimade à Béziers. Partage, chaleur humaine, compétences mises en valeur… L’expérience riche a donné lieu à un livre superbement illustré, Cuisines d’Ailleurs. Moins un livre de cuisine qu’une recette pour un mieux-vivre ensemble.

Des nourritures affectives. “Il se dégageait quelque chose de joyeux lors de ces ateliers de cuisine. On ne ressentait plus aucune lourdeur administrative…” Le photographe Daniel Mielniczek a épuisé des rouleaux de pellicules en immortalisant ces Cuisines d’Ailleurs, du nom d’un livre de recettes qui vient d’être édité. Et qui rassemble des recettes venues des quatre coins du monde. On le présente “comme un carnet de voyage, une lucarne avec vue sur le monde, d’autant plus précieuse qu’elle est ouverte à Béziers”.

Dessins : Géraldine Garçon.

Le livre, publié par Magellan et Compagnie, paraîtra en librairie en janvier 2020 mais il est d’ores et déjà disponible sur le site de La Cimade. Car, dans la ville de Jean Moulin c’est la Cimade qui gère l’un des Cada (centre d’accueil de demandeurs d’asile de l’Hexagone, qui fête ses 20 ans et qui abrite actuellement 90 résidants pendant une période moyenne de dix-huit mois. Les Cada ce sont ces foyers dans lesquels les demandeurs d’asile attendent ce que l’État français décident pour eux en fonction de leur dossier, notamment s’il leur accordera ou pas le statut de réfugié ou bien plus rarement la nationalité française.

Une quinzaine de cuisinières des quatre coins du monde mettent de côté pour un temps lourdeurs et inquiétudes du quotidien lors de l’atelier cuisine, un espace où chacun apporte son savoir-faire et participe à l’élaboration de buffets multiculturels

Ph. Daniel Mielniczek

Congolais, Albanais, Ukrainiens, Sénégalais, Nigérians, Russes, Georgiens… Les nationalités sont nombreuses et habituellement ne partagent rien d’autre qu’une attente insupportable. Ces migrants ont souvent vécu des épreuves successives : la guerre dans leur pays d’origine, l’exil parfois au péril de leur vie et celle des centres de rétention. Alors, certes, ils bénéficient d’un suivi social, d’un accompagnement, d’un pécule, de l’accès aux soins conformément à la loi, mais leurs droits, depuis la loi Asile et immigration de 2018, se sont réduits selon la Cimade. On compte plus de 40 000 places en cada, des foyers que l’on compte en centaines, et 40 000 places en urgence.La barre des 100 000 demandes d’asile a été franchie en 2017.

C’est dans ce contexte qu’est né l’atelier cuisine du Cada de Béziers, le seul en France a être géré par la Cimade. De l’Albanie au Bangladesh en passant par l’Angola et la Géorgie, il regroupe “une quinzaine de cuisinières des quatre coins du monde, mettant de côté pour un temps lourdeurs et inquiétudes du quotidien. L’atelier cuisine est un espace où chacun apporte son savoir-faire et participe à l’élaboration de buffets multiculturels”, dit-on à la cada. Nadja Keller en est ou plutôt était la coordinatrice de cet atelier où règne une vraie chaleur humaine.

Aquarelle : Géraldine Garçon.

Quoi de mieux qu’un repas partagé ? Une discussion autour de la meilleure façon de préparer des aubergines farcies ? Une dégustation de beignets de coco ? Il s’agit donc moins d’un livre de cuisine qu’une recette pour faire des choses ensemble. La cuisine réunit le monde

Elles se prénomment Adela, Antonica, Ariana, Berehin, Brenda, Cécile, Coumba, Dafina, Delaou… Elles préparent le kyopolou des Balkans (à base d’aubergine et poivrons), le cheese roll du Pakistan (pommes de terre, cheddar…), la pakora du Bangladesh ou la dolma de Turquie (feuilles de vigne et riz, entre autres)…

“Cet atelier cuisine est un espace unique et c’est une expérience riche”, dit Nadja Keller qui est aussi bénévole à la Cimade. Elle vient d’ouvrir une pâtisserie en centre-ville de Béziers après sept années comme auto-entrepreneur. Nadja Keller a repris cet atelier de cuisine en allant “au-delà du temps d’échange classique, en cherchant à donner du sens à mon travail pour qu’il ne soit pas exclusivement basé sur l’aspect commercial”, confie-t-elle. Ces moments de cuisine avec les demandeurs d’asile vont se faire plus rare : enceinte, elle vient de passer le relais à “deux ou trois personnes aux profils variés…”

Ph : Daniel Mielniczek

La dessinatrice Géraldine Garçon a peint de magnifiques aquarelles, le photographe Daniel Mielniczek et la rédactrice Émilie Hammel ont partagé la vie de l’atelier cuisine pendant plusieurs mois pour brosser le portrait de ces hommes et femmes en exil et recueillir leurs recettes. “Quoi de mieux qu’un repas partagé ? Une discussion autour de la meilleure façon de préparer des aubergines farcies ? Une dégustation de beignets de coco ? Il s’agit donc moins d’un livre de cuisine qu’une recette pour faire des choses ensemble. La cuisine réunit le monde et la nourriture est une expérience de vie. Mais nous avons faim aussi de justice sociale”, défendent ses auteurs.

Dans cet espace de 30 mètres carrés qu’est la cuisine, c’est que de la bienveillance. Les difficultés de vie, les refus de l’administration ou autre, sont partagées ensemble…”

Géraldine Garçon, aquarelliste

La conception de cartes postales a précédé le livre Cuisine d’Ailleurs il y a deux ans. Puis, comme l’explique Géraldine Garçon, l’aquarelliste, “les femmes qui étaient là et qui cuisinaient ensemble parlaient des langues différentes. C’est magnifique à entendre. C’est une richesse. En même temps, elles avaient parfois du mal à se comprendre et on avait du mal à se comprendre. Elles pouvaient confondre poivre et poivrons, par exemple. Du coup, elles ont demandé si on pouvait faire un livret”. Une préfiguration du livre. Elle dit : “Dans cet espace de 30 mètres carrés qu’est la cuisine, c’est que de la bienveillance. Les difficultés de vie, les refus de l’administration ou autre, sont partagées ensemble. Parfois, on ne dit rien de spécial. Mais on est là. Je les ai observées durant un an, le photographe, six mois. On a conçu ce livre comme un carnet de voyages. “

De quoi mordre à nouveau dans la vie

Dessin : Géraldine Garçon.

Le directeur du Cada de Béziers, Philippe Turpin renchérit : “Ça a commencé par un repas de Noël puis, ça s’est répété à d’autres occasions. Et, finalement, on s’est aperçus que c’était un bon moyen, la cuisine, de travailler le vivre-ensemble. Ces femmes qui participent à cet atelier cuisine ont la possibilité de montrer des compétences. Alors que c’est l’inverse habituellement avec la barrière de la langue, les complexités administratives, etc. Cet atelier a changé des rapports. Il y a quinze jours, elles ont cuisiné pour une soirée de l’IUT de Béziers ; dans un mois ce sera pour Migrantscène.” De quoi mordre à nouveau dans la vie.

Olivier SCHLAMA

  • Une expo, dessins et photos, sera présentée le 4 décembre à la Cimade de Béziers. Les auteurs y serons pour parler du livre. Et il y aura un buffet préparé par les cuisinières de l’atelier…

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