Bande dessinée : “Non-Retour”, un one-shot qui donne des envies de suite

Non-Retour aux éditions Dargaud (détail de la couverture).

Juillet 1962. L’Algérie est indépendante et pour les pieds-noirs c’est “la valise ou le cercueil.” Dans un Constellation (mythique avion de ligne à hélices de la firme américaine Lockheed) s’entassent familles de rapatriés, espions, flic de la DST, colonel de l’OAS, et équipage. Destination, Marseille. Mais au-dessus d’Oran en flammes, les autorités donnent l’ordre d’atterrir et la tension monte de plusieurs crans…

Attachez vos ceintures ! Car le trajet jusqu’à Marseille promet d’être quelque peu mouvementé. En ce mois de juillet 1962 qui a vu l’Algérie devenir indépendante (le 5) la confusion règne et la peur est partout. Pour quelques dizaines de personnes, le salut est dans la carlingue d’un avion (*) et c’est eux que l’on va suivre tout au long d’un voyage riche de réminiscences et d’espoirs…

Un récit classique, dans un huis-clos qui dramatise l’ambiance

Le regretté Patrick Jusseaume et Jean-Laurent Truc ((à d.). C’est lors d’une telle randonnée sur l’Aubrac que le scénariste a ractonté au dessinateur ce qui allait devenir Non-Retour… Photo D.-R.

S’inspirant d’un souvenir d’enfance, Jean-Laurent Truc signe ici pour Patrick Jusseaume son premier scénario. Le dessinateur de “Tramp” avait travaillé sur plusieurs pages avant de disparaître. Olivier Mangin lui a donc succédé au dessin, avec talent. “Au départ, c’est vraiment de l’authentique” témoigne Jean-Laurent Truc, qui n’était qu’un enfant au moment des événements.

Après une longue carrière de journaliste (et chroniqueur BD)… Créateur et animateur du site consacré à l’actualité de la bande dessinée ligneclaire.info il est donc désormais, aussi, scénariste. Pour le plus grand bonheur des amateurs. “J’ai voulu retrouver une ambiance franco-belge, quelque chose d’assez classique mais dans le contexte d’un huis clos qui renforce le dramatique de la situation”, dit-il. Pari réussi ! C’est la réponse que l’on peut lui apporter.

Sa place en compagnie des plus grands classiques

Car une fois que l’on a pris place à bord du Constellation qui trace dans le ciel d’Algérie, impossible de quitter son siège. Dans le sillage de quelques grands titres, Non-Retour a incontestablement gagné sa place sur les rayonnages consacrés à la bande dessinée d’aviation, entre NC-22654 ne répond plus (Buck Danny par Charier et Hubinon, éd. Dupuis, 1957) et Canon Bleu ne répond plus (Tanguy et Laverdure, par Charlier et Uderzo, éd. Dargaud, 1966).

Non-Retour, sortie le 22 avril 2021… aux éditions Dargaud

D’immenses flammes au sol, car on brûlait les réserves de pétrole

Retour à juillet 1962… Alors qu’il vole vers Marseille, le Constellation reçoit un appel lui intimant l’ordre de faire escale à Oran. “Le pilote a d’abord hésité, puis craignant que l’on oblige ses passagers -surtout des familles de militaires comme c’était notre cas- à quitter l’appareil pour céder la place à des personnages “plus importants”, il a décidé de ne pas obtempérer et de pousuivre son vol”, racontre le scénariste qui se souvient “des immenses flammes que l’on pouvait voir, car on brûlait les réserves de pétrole.”

Et soudain ,l’appareil a disparu des radars. “Mes grands-parents nous attendaient à Marseille, pendant deux heures ils n’ont plus eu aucune nouvelle. L’avion était considéré comme perdu. En réalité, le pilote avait coupé la radio. Et nous avons atteri…” témoigne Jean-Laurent. Tel qu’il a un jour fait le même récit à Patrick Jusseaume, à l’occasion d’une randonnée sur l’Aubrac…

Olivier Mangin reprend le dessin de l’album

Olivier Mangin. Photo D.-R.

Pour Patrick Jusseaume, qui avait envie de réaliser “autre chose”, en parrallèle de sa série vedette Tramp (11 tomes parus chez Dargaud de 1993 à 2017, sur scénario de Kraehn) c’est une aubaine. Enthousiaste, il travaille une vingtaine de planches (présentes dans l’album final). Le décès de ce grand dessinateur, le 25 octobre 2017 va cependant stopper le projet. Jusqu’à la reprise par un autre dessinateur : Olivier Mangin.

Et le Constellation put reprendre son vol. Ce qui est une aubaine pour les lecteurs qui se voient ici proposer une des bandes dessinées les plus réussies sur les “événements d’Algérie.” Un récit haletant, qui oscille entre un huis-clos toujours plus tendu et les souvenirs de certains passagers, expliquant ainsi leur présence à bord de cet avion de la “dernière chance…”

Jean-Michel, Jean et… Jean-Laurent

Car si l’avion est bien au coeur de l’aventure, c’est tout de même la Guerre d’Algérie qui est présente à chaque instant en toile de fond. Chose assez rare pour être soulignée. “C’est vrai que la période n’est pas forcément facile à aborder. Elle a laissé des traces profondes (…) Je n’étais qu’un enfant, mais je me souviens de la peur qu’il y avait de perdre son père lorsqu’on était fils de militaire. En même temps, j’ai retrouvé des souvenirs d’enfance et je me suis replongé dans les centaines de photos qu’aait faites mon père. J’avais une documentation de première main. Et le Constellation en fait partie…” souligne Jean-Laurent Truc

Réaliste, plein de suspens, le récit que nous livre l’auteur a toutes les qualités d’une bande dessinée classique, digne d’un Jean-Michel Charlier, ou d’un Jean Van Hamme qui avait lui aussi lorgné du côté de l’aviation avec Histoire sans héros (avec Danny au dessin, 1977, Le Lombard). ce “troisième Jean” n’a rien à envier à ses glorieux prédécesseurs. Et lorsque l’album se termine, on aimerait bien pouvoir se dire qu’il y aura une suite.

Jean-Laurent ne dévoile que peu d’indices… Mais il n’exclut pas la possibilité de retrouver certains protagonistes de l’aventure (aux lecteurs de deviner lesquels) du côté de Berlin… en 1963 ! Mais patience. Et savourons d’abord ce Non-Retour qui sera en librairies dès le 23 avril.

Philippe MOURET

(*) Grand amateur d’aviation, Jean-Laurent Truc s’est fait un  plaisir de “retouver” le Constellation de l’amériacin Lockheed. Il est vrai que cet appareil est une véritable légende ! Il a transporté les plus grandes stars, d’un bout à l’autre de l’Atlantique, de Grace Kelly à Coco Chanel et c’est à bord d’un de ces appareils que Marcel Cerdan a trouvé la mort lors d’un crash. L’architecte Le Corbusier disait que cet avion avait “le génie des formes” et il refusait de voler à bord de tout autre appareil. Il reste un seul Constellation en France, à Nantes, où il s’est posé pour la dernière fois en 1974.  Ayant échappé de peu à la casse, il est classé monument historique depuis 2001. Découvrir L’Amicale du Super Constellation.

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