Baisse des quotas : À Sète, ministre de la Mer et pêcheurs partagent la même galère

Annick Girardin et les représentants des pêcheurs, ce jeudi à Sète. Photo : Olivier SCHLAMA

(Avec vidéos). À quelques jours de la présidence française de l’Union européenne, Annick Girardin a fait plus que déminer le terrain face à la baisse inquiétante du nombre de jours de pêche : “combative”, elle a promis de rechercher “des aides et des accompagnements innovants à inventer pour compenser les pertes de chiffre d’affaires”. Les pêcheurs, qui avaient fait grève il y a une semaine, sont globalement satisfaits de cette approche. La Région Occitanie propose des Etats généraux de la pêche.

Voix basse, regard tendu. Annick Girardin se retourne et dit in petto à deux représentants de la pêche : “Je connais bien votre profession ; mon père était – il est mort – pêcheur de morues à Terre-Neuve… Une pêche disparue. Essayer d’éviter cela : c’est ce que j’essaie de faire pour vous ici…”, dit-elle, moins d’une semaine après le blocus symbolique des ports de pêche de la région. Elle a pris de précieuses secondes sur un timing serré d’une visite organisée “à l’arrache”, comme elle l’a dit.

“Accompagner les pêcheurs”

Comme Dis-Leur ! vous l’a expliqué, pour la seconde fois en à peine un peu plus d’un an, après le Lycée de la Mer, la ministre la Mer a fait une halte appréciée dans le premier port de pêche de la Méditerranée française lors d’une matinée avec les représentants de la profession à la Maison de la Mer, ce jeudi. Il s’agissait de leur expliquer comment elle va pouvoir “accompagner les pêcheurs” pour faire face à la baisse drastique des quotas de jours de pêche (1) imposée par Bruxelles, à quatre mois de la présidentielle et à quelques jours de la présidence française de l’Union européenne. Une réduction visant à protéger notamment la ressource en rougets et merlus en application du plan de gestion européen West Med.

Les Français achètent de plus en plus de poissons…

Photo : Olivier SCHLAMA

Des milliers de kilomètres séparent Terre Neuve de la Méditerranée. Mais la même problématique s’impose dans les deux cas à deux époques différentes : l‘effondrement de la ressource. Dans les deux espaces maritimes, il y eut un âge d’or avec une pêche miraculeuse pendant cinq siècles pour l’Atlantique Nord et le Golfe du Saint-Laurent et beaucoup moins pour le Golfe du Lion. Mais toutes deux sont l’illustration la plus crue des rapports de l’homme avec une manne naturelle qu’il a longtemps crue inépuisable. Une triste parabole alors même, paradoxe suprême, que les Français achètent de plus en plus de produits de la mer. On y lit que : 68 % des Français mangent des produits de la mer à leur domicile au moins une fois par mois contre 64 % des Européens en moyenne, selon les résultats du dernier Eurobaromètre.

Y aura-t-il encore des pêcheurs dans vingt ans ?

Depuis plus de vingt ans les plans de réduction de flotte se sont succédé. À la question cruciale de savoir s’il y aura encore des pêcheurs dans 20 ans en Méditerranée, Annick Girardin nous a répondu : “C’est une vraie question ; c’est celle que les pêcheurs et leurs enfants se posent et nous posent : auront-ils la possibilité de choisir ce métier, sachant qu’un bateau coûte 1 M€, 2 M€ voire 3 M€…? (…) Jusqu’à maintenant, la seule réponse que l’on ait à leur proposer, c’est de réduire l’effort de pêche, le nombre de bateaux, et le nombre de jours de pêche.”

“Pollution, réchauffement : on manque de connaissances…”

Unités de pêche à quai dans le port de pêche de Sète… Photo Ph.-M.

La ministre a poursuivi : “Or, il y a d’autres causes à la baisse de la ressource du fait de la pêche sur lesquelles nous travaillons : le réchauffement climatique, la pollution, par exemple, auxquels sont très sensibles les juvéniles. C’est pour cela que nous menons avec mon collègue du gouvernement Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture, un plan d’action national. Il s’agit de mieux identifier les causes de cette baisse de ressources avant le mois d’avril. On manque de données et de connaissances : on ne suit scientifiquement par exemple que huit espèces (en fait 6, Ndlr) en Méditerranée alors qu’il y en a soixante (plus de 150, Ndlr) qui sont remontées dans les filets. On a aussi un déficit d’info sur les juvéniles. Il faut que la recherche s’intensifie et étudie cela avec, en tête, le prisme de la pêche.” 

“Trouver des solutions innovantes”

Perfecto sur le dos, Annick Girardin, a ajouté : “Il nous faut trouver des solutions innovantes qui n’existent pas encore pour accompagner les pêcheurs, compenser les pertes de chiffre d’affaires, d’ici 15 jours, s’il y avait lieu de les présenter devant la Commission européenne. Ce sont des solutions au cas par cas qui tiendront compte des spécificités des territoires en question.”

Au risque d’importer davantage…

Ce n’est pas tout. Mécaniquement les criées françaises ont moins de poissons à vendre. Mais la demande de produits de la mer, elle, ne cesse de croître. D’où le risque d’importer davantage de poissons de zones extra-européennes… “Il faut lancer un appel aux consommateurs là dessus, confie encore la ministre de la Mer. En plus, les Français consomment surtout de la morue, du saumon et de la crevette… L’une des solutions est aussi de mettre davantage en vente d’espèces moins nobles que le rouget…”

“Il y a un avenir pour la pêche en Méditerranée !”

De son côté, Bernard Pérez, président du comité régional des pêches, a réagit : “Très sincèrement il y a un avenir pour la pêche en Méditerranée. Un très bel avenir. Mais ensemble. Il dépend de toute l’énergie commune. D’ailleurs, l’Occitanie s’est construite à partir des villages de pêcheurs…

L’ensemble de la profession n’est pas satisfaite des mesures mais les paroles de la ministre et de la Région Occitanie ont été rassurantes dans le sens où on va se mettre au travail pour accompagner les professionnels de la meilleure des façons : avec un arrêt temporaire ; un chômage partiel de longue durée à 100 % comme pour le covid et qui soient aménagés pour les marins en premier lieu. La ministre a entendu nos revendications. On la sent impliquée, pugnace, mettant beaucoup de coeur et de détermination vis-à-vis de notre profession.” 

La Région propose les Etats généraux de la pêche

Premier vice-président de la Région Occitanie, Didier Codorniou a “félicité la ministre pour sa pugnacité et pour avoir réussi à limiter à 4 % et non 6 % la baisse du nombre de jours de mer. On en est à 174 jours, en dessous du seuil de rentabilité. J’ai aussi demandé que l’Etat consolide les aides d’urgence”, ajoute encore Didier Codorniou, soulignant que la région sera aux côtés des pêcheurs que “nous accompagnerons également financièrement”.

Didier Codorniou, second à partir de la gauche. DR

Le vice-président ajoute que “nous devons avoir une réflexion globale. La ministre a parlé de plans d’actions à venir. Nous espérons qu’ils se mettront en place rapidement. Nous, nous proposons des États généraux de la pêche” qui tiendront compte de toutes les facettes de cette filière : motorisation électrique ; formation ; meilleure valorisation des produits, etc. C’est un modèle économique à réinventer. “L’heure est grave, surligne Didier Codorniou : en deux ans, la profession a perdu 13 % de ses jours de pêche, ce qui représente entre 110 et 120 emplois perdus et un manque à gagner de 13 M€ de chiffre d’affaires consolidé…”

“Nous espérons que les mesures porteront leurs fruits…”

Directeur de la SaThoAn, Bertrand Wendling opine : “Nous attendons que les mesures d’accompagnement que nous avons proposées soient validées par les services de l’Etat. Nous avons aussi dit que la pêche n’est pas responsable de tous les maux dont on l’accuse ; il y a la pollution, le réchauffement climatique ; les règlements de plus en plus compliqués…

Photo DR

On lui aussi expliqué qu’il est bien que les pêcheurs bénéficient de certains dispositifs d’accompagnement mais le paiement des arrêts temporaires, par exemple, datant de plusieurs mois, n’ont pas encore été réglés… Annick Girardin nous a promis de faire accélérer les choses. Nous avons trouvé la ministre très combative. Nous n’avons pas de reproche à lui faire. Nous pensons que la situation restera tendue encore deux ou trois ans et qu’ensuite, nous espérons que les mesures auront porté leurs fruits pour un avenir plus serein…” Pour enfin sortir des mailles du filet.

Olivier SCHLAMA

(1) Quotas. Les nouveaux quotas sont de 173 jours de pêche par bateau pour 2022, alors qu’ils étaient de 183 jours en 2021. “Compte tenu du prix du gazole, le seuil de rentabilité d’un chalut en Méditerranée est de 209 jours”, précise Bertrand Wendling. Actuellement, la Méditerranée compte 57 chaluts, ils étaient le double il y a seulement dix ans. Ces armements constituent une filière très structurée apportant 80 % des apports en criées. La pêche méditerranéenne – entre 10 000 et 15 000 tonnes de poissons par an – représente 5 % de la production française. Il n’y a pas (encore) de quotas par espèce.

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