Ariège : L’incroyable histoire de la paire de ski de la Retirada classée Monument historique !

Les skis de la Retirada classés aux Monuments historiques

C’est un cas unique en France, “une découverte assez extraordinaire”, qualifie Pauline Chaboussou, conservatrice-adjointe du département de l’Ariège. Et elle concerne une paire de skis alpins quasi centenaire ayant appartenu à un soldat catalan du Batallón de Montaña Pirenáico, camp républicain de la Guerre civile espagnole, 1936-1939. Une expo franco-espagnole avec des objets historiques est en gestation.

Rien à voir avec les skis paraboliques ceintrés de loc’ qui imposent leurs virages dans nos stations au pied des vacanciers. Mesurant 198 centimètres de long, 8,5 centimètres à la spatule, 7,5 centimètres au talon, 10 centimètres au patin avec les fixations, ces skis ont évidemment été fabriqués en matériaux nobles : bois, métal, cuir, caoutchouc. Ceux qui les chaussaient ont traversé les Pyrénées moyennant une sacrée dose de maîtrise parfaite des carres. Des skis increvables, en parfait état de conservation, qui ont aussi su traverser les décennies. Cette paire est un symbole si fort qu’elle a été inscrite au titre des monuments historiques en tant qu’objets mobiliers le 15 décembre 2021. Un label national de protection.

“Témoignage historique de la guerre civile et de la Retirada”

Les skis de la Retirada classés aux Monuments historiques au musée des colporteurs de Soueix. DR

Sensibles à la Guerre civile espagnole et des Républicains espagnols, des membres de l’association locale Patrimoine de Soueix Covalle, qui s’occupe notamment du Musée des Colporteurs, ont un jour rencontré un brocanteur, à Oust, qui venait d’acheter ces skis à des particuliers. De fil en aiguille, “j’ai proposé, explique Pauline Chaboussou, à l’association de constituer un dossier pour le présenter devant la commission régionale de protection d’architecture et du patrimoine, auprès de la Drac Occitanie”, service déconcentré du ministère de la Culture. Puis, le processus se poursuit jusqu’au classement national (1).

Elle confie son angoisse : “J’étais anxieuse. C’était une première en France. Eh bien, le vote du jury a été unanime. C’est donc la première paire de skis protégée au titre des Monuments historiques en France. J’ai aussi défendu le côté technique de ces skis qui reflètent très bien l’évolution technique des années 1930 qui sont bien sûr un témoignage historique de la guerre civile et de la Retirada.”

Grâce aux quelques indices sur les skis, on a retrouvé des ouvrages sur l’histoire de ces soldats très particuliers qui ont marqué les esprits côté républicain”

L’Ariège recèle des trésors patrimoniaux comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. Pauline Chaboussou retrace le contexte de la dernière trouvaille historique. “L’association a tout de suite compris qu’elle tenait là un objet intéressant. J’avais déjà travaillé avec cette association notamment en montant ensemble une grosse expos au château de Seix sur les Républicains espagnols, notamment en faisant parler de nombreux descendants qui s’étaient installés dans le Haut-Couserans. On s’est rendu plusieurs fois en Catalogne espagnole. Il y avait tout un contexte favorable. L’association l’a achetée au moins 150 € en 2015 (1). Ils m’en ont averti et j’ai alors questionné mes collègues catalans. Grâce aux quelques indices, l’un d’eux, Ignasi Ros de l’écomusée d’Esterri d’Aneu, a retrouvé des ouvrages sur l’histoire de ces soldats très particuliers qui ont marqué les esprits côté républicain.”

Ils défilaient les skis sur l’épaule ; ils avaient un édelweiss pour emblème… Ils étaient l’équivalent des chasseurs alpins. Ils en jetaient…”

Elle décrypte : “C’étaient un peu des vedettes : ils étaient d’ailleurs tout vêtus de blanc. Quand ils défilaient sur les ramblas, à Barcelone, aux premiers temps de la guerre, ils le faisaient avec les skis sur l’épaule ; ils avaient un édelweiss pour emblème… Ils étaient l’équivalent des chasseurs alpins. Ils en jetaient. Ils faisaient aussi partie d’une certaine élite intellectuelle, lettrés, qui avaient les moyens de pratiquer les sports d’hiver. Ces gens-là, après la guerre, ont laissé des témoignages de cette période. C’est donc une histoire que l’on a pu retracer fidèlement.”

Cette unité de montagne s’organise en août 1936 à Barcelone, grâce en effet à des volontaires issus de clubs sportifs, d’associations excursionnistes, issus d’un certain milieu social et intellectuel et tous montagnards confirmés. Ils deviennent vite très populaires, dans la presse et dans les défilés militaires.

Passage par l’Ariège plutôt que par la Jonquère

Ces skis représentent donc l’un des rares témoignages matériels subsistant de l’emblématique Batallón de Montaña Pirenáico, dernière unité militaire de la République espagnole à quitter le pays après la victoire du camp franquiste. Ils s’étaient préparé à passer l’hiver 1938-1939 en montagne pour défendre la frontière mais quand ils ont appris que Barcelone était tombée et que tout espoir était perdu, ils ont commencé à faire quelques incursions côté français par l’Ariège, alors que la majorité de ceux qui avaient fui la catalogne sont passés par la Jonquère.

Ces skis sont confiés à un paysan français, dans un village de la haute vallée du Salat (Ariège), par un soldat qui va être fiché et vacciné, avant d’être envoyé au camp d’internement d’Argelès…”

Selon la reconstitution historique, “la plupart des hommes {qui passent la frontière, Ndlr} brisent alors leurs armes, détruisent leur équipement au moment du passage en France. Ces skis, en revanche, sont confiés à un paysan français, dans un village de la haute vallée du Salat (Ariège), par un soldat qui va être fiché et vacciné, avant d’être envoyé au camp d’internement d’Argelès. Ils constituent un témoignage matériel de la Retirada , évènement particulièrement marquant dans le Sud de la France”, indique le département de l’Ariège.

Ils défilent à Luchon, traversent le Sud de la France en train pour rentrer en zone républicaine en Espagne

Les soldats rejoignent le front des Pyrénées aragonaises en 1937. Face à la progression des troupes de Franco, l’armée se réorganise dans la Catalogne restée libre au cours du second semestre 1937 : des soldats basques et navarrais rejoignent les catalans pour former le Batallón de Montaña Pirenáico.

Lorsque le front d’Aragon s’effondre, les militaires parviennent à aider une partie de la population civile à fuir du côté français, vers Bagnères-de-Luchon. Descendus de la station de Superbagnères à ski, ils éblouissent les gendarmes français : dans leur tenue immaculée, sans presque avoir combattu, ils ne ressemblent en rien aux autres soldats épuisés. Ils défilent sur les allées d’Etigny à Luchon, puis traversent le Sud de la France en train pour rentrer en zone républicaine en Espagne.

Ils bâtissent même des igloos à 2 000 mètres…

Le Batallón est ensuite envoyé au front dans la vallée de la Noguera Pallaresa, frontalière avec le département de l’Ariège. Il passe l’automne et l’hiver sans difficulté, grâce à sa maîtrise du milieu (construisant même des igloos à plus de 2 000 mètres d’altitude), et n’est pas inquiété par les troupes franquistes. Après la chute de Barcelone, que faire ? Pendant quelques jours, les soldats effectuent des reconnaissances du côté français, puis se décident à franchir la frontière, par petits groupes, entre le 9 et le 14 février.

Expo commune franco-espagnole à venir

Raquettes des soldats lors de la Retirada. DR

Cette période recèle-t-elle d’autres belles surprises ? “On n’a pas fini de tirer les fils de l’histoire et du patrimoine. Mon collègue espagnol il a prospecté dans les granges côté catalan et il a retrouvé d’autres équipements : au fur et à mesure, les combattants laisser tomber leurs sacs ; leurs raquettes pour passer qu’avec leurs skis. Le matériel des soldats de cette é^poque se retrouve aujourd’hui au fond des granges de montagne, notamment du côté Pallars Sobira. Les armes sont, elles, restées cachées dans la montagne. On fera sans doute une expo conjointe un jour pour raconter toute cette histoire franco-espagnole.” Elle confie encore : “Très récemment, il y a trois mois, nous avons trouvé une seconde paire de skis. Une dame s’est rendue compte qu’elle avait dans son grenier et c’est la Conservation départementale, notre service qui l’a achetée pour que cela enrichisse nos collections.”

Olivier SCHLAMA

  •  (1) Un processus de patrimonialisation s’enclenche alors pour les skis : inscription sur la liste des objets remarquables de l’Ariège par le Conseil départemental en 2018, présentation lors de l’exposition Les Républicains espagnols en Ariège : l’exil, et après ? au musée départemental du palais des évêques de Saint-Lizier en 2019 ; enfin, en 2021, inscription au titre des monuments historiques.

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