Animad’Oc (3) : Huit bonnes raisons d’aimer les poulpes

Le poulpe, ou la pieuvre, c'est pareil ! Et c'est beau ! Photo DR

Pour répondre à la première question que l’on pourrait se poser : les deux mots pieuvre et poulpe désignent le même animal, un mollusque qui appartient à la famille des céphalopodes et à l’ordre des octopodes. L’Institut océanographique Paul-Ricard (dans le Var) précise cependant que “en Méditerranée le poulpe est en réalité la pieuvre de Victor Hugo et Jules Verne, le vrai poulpe est l’Eledone de Manche et Atlantique.”

Tel.le l’Octopussy de James Bond (interprétée par Maud Adams, en 1983 dans le film éponyme), l’animal a plus d’une corde à son arc… Ou plutôt de tentacules à son corps. Huit pour être précis. Et au moins autant de bonnes raisons pour être apprécié.e du plus grand nombre. Dis-Leur ! en a réuni quelques-unes :

UN – L’INSPIRATION LITTERAIRE

Une des nombreuses représentations de la lutte entre l’homme et une terrible créature sous-marine…

Le poulpe a fait couler beaucoup d’encre, et parmi les plus grandes plumes de la littérature ! C’est Victor-Hugo qui, en 1866 dans Les travailleurs de la Mer, introduisit en France le mot pieuvre, originaire des Îles Anglo-Normande où il était en exil, pour désigner le poulpe.

L’écrivain raconte le combat de son héros, Gilliatt, contre un adversaire étrange, qu’il ne voit pas, mais qui enroule autour de son bras droit, puis de son torse, des lanières munies de ventouses. Le romancier interrompt alors la narration pour consacrer un chapitre entier à l’animal qui met Gilliat en danger de mort, la pieuvre.

De son côté, Jules Verne n’est guère plus aimable avec le paisible habitant des rochers de Méditerranée : “Je regardai Conseil. Ned Land se précipita vers la vitre. “L’épouvantable bête “, s’écria-t-il. Je regardai à mon tour, et je ne pus réprimer un mouvement de répulsion. Devant mes yeux s’agitait un monstre horrible, digne de figurer dans les légendes tératologiques (…) Ses huit bras, ou plutôt ses huit pieds, implantés sur sa tête, qui ont valu à ces animaux le nom de céphalopodes, avaient un développement double de son corps et se tordaient comme la chevelure des furies (…) quels monstres que ces poulpes, quelle vitalité le créateur leur a départie, quelle vigueur dans leurs mouvements, puisqu’ils possèdent trois cœurs !” (Vingt mille lieues sous les mers, 1869).

DEUX – LA TIELLE

Le poulpe (ici, on dit le “pouffre”) est le principal ingrédient de l’un des produits les plus emblématiques de la gastronomie d’Occitanie : la tielle sétoise !

C’est en 1937 qu’Adrienne Virduci fut la première à commercialiser la Tielle sur le port de Sète. Au fil du temps, la renommée du produit et le savoir-faire de cette pionnière se sont diffusés. La Tielle, c’était le plat du pauvre, des pêcheurs italiens venus s’installer ici pour fuir la misère. un plat concocté avec de la pâte à pain -à la fois moëlleuse et croustillante- et ces pouffres dont personne ne voulait.

Aujourd’hui la tielle a gagné ses galons de spécialité culinaire. Et les descendants d’Adrienne tiennent toujours le haut du pavé, même si quelques autres artisans-fabricants sétois ont su également établir leur réputation.

Et la ville qui a vu naître Paul Valéry, Jean Vilar, Brassens, les Di-Rosa et quelques autres, peut donc aussi se vanter d’être le berceau de la tielle ! Elle a d’ailleurs rendu un bel hommage au céphalopode avec la statue du “Pouffre” qui dresse ses tentacules vers le ciel sur la place de la mairie, oeuvre d’un autre enfant de l’île singulière, le sculpteur Pierre Nocca

La recette selon le site Sète – Archipel de Thauhttps://www.tourisme-sete.com/specialite-gastronomie-tielle.html

Un met de premier choix ! Et plein de bonnes choses… Photo DR

TROIS- LA SANTÉ

Au-delà de la spécialité typiquement occitane citée plus haut, le poulpe est par ailleurs un des symbôles de la cuisine méditerranéenne. Non seulement c’est un délice, mais il constitue un aliment particulièrement intéressant sur le plan nutritionnel.

Tous les details sur le site Santé magazinehttps://www.santemagazine.fr/alimentation/nutriments/guide-des-calories/fruits-de-mer/poulpe-918378

Apprécié depuis très longtemps en Asie (en particulier au Japon et en Corée) mais aussi en Espagne et en Italie, le céphalopode a mis un peu plus de temps à imposer ses saveurs dans l’hexagone. Mais depuis quelques années il séduit de plus en plus de consommateurs. Il est vrai qu’il ne manque pas d’atouts…

Le poulpe offre tout particulièrement un apport en calcium, en potassium, mais aussi en vitamines A et C. Étant également une grande source en fer, le poulpe est parfait pour les personnes souffrant d’anémie. Il contient des oméga-3 qui permettent de diminuer les risques de maladie cardiovasculaires et le développement de cellules cancéreuses…

QUATRE – IL EST “QUEER”

C’est de Bretagne que vient cette intéressante révélation, un autre “terre” (ou plutôt côte) de prédilection du poulpe. Le Canal -Théâtre du Pays de Redon souligne ainsi cette particularité fort tendance en ce moment : le poulpe est queer ! (*)

Le Canal, a choisi le poulpe pour symbole. Et s’en explique à sa façon à travers une série de dialogues en 20 épisodes (rédigés durant le confinement du covid) qui nous explique que :

Le poulpe est queer ? Oui, puisqu’il est aussi pieuvre. Ah. Le poulpe est le mâle de la pieuvre.Non, ça ne serait pas queer. Le poulpe est la pieuvre. La pieuvre est le poulpe. C’est le même animal (…) Donc quand tu attrapes un poulpe, tu attrapes une pieuvre, mais tu ne sais pas si c’est un mâle ou une femelle. Mais lui, elle sait ?Oui ! Le poulpe est mâle ou femelle. Il n’est pas hermaphrodite, contrairement à ses cousins les escargots, ou ses voisins les mérous…”

Tous les épisodes : https://www.lecanaltheatre.fr/le-canal#Pourquoi%20un%20poulpe%20?

(*) Le terme Queer est un mot anglosaxon signifiant bizarre ou étrange. Aujourd’hui, le terme peut être utilisé pour référer à “toute personne ou identité allant à l’encontre des normes structurant le modèle social hétéronormatif et cisnormatif.”

CINQ – LES PRONOSTICS

Inoubliable Paul le poulpe ! Paul (2008-2010)  a connu la gloire en raison de ses prédictions du résultat des matchs de l’équipe d’Allemagne de football, lors du Championnat d’Europe 2008 et de la Coupe du monde 2010, dont il a également désigné le vainqueur. Paul le poulpe faisait connaître ses choix en ouvrant une boîte aux couleurs de l’équipe gagnante. Sur quatorze pronostics ainsi exprimés, douze se sont révélés exacts !

Là où l’affaire nous rapproche de la Méditerranée c’est comme le précise le site Wikipédia : “Paul est né officiellement en 2008 à l’aquarium Sea Life de Weymouth en Angleterre, mais Verena Bartsch, qui s’en occupait, affirme l’avoir récupéré en Italie. Selon ses dires, au tabloïd allemand Bild-Zeitung, il serait en fait né en avril 2010. Auquel cas il aurait existé deux Paul le poulpe (l’un en 2008, l’autre en 2010). Cependant, un mareyeur français du Sud de la France aurait vendu Paul Ier et son successeur. Les deux poulpes seraient donc d’origine française, nés et élevés en France, à Sète !”

SIX – HANK

Il a bien huit tentacules (bon d’accord, sept en fait, mais… **) et il a été la révélation du Monde de Dory, la suite des aventures de Némo le poisson-clown… Ce céphalopode grognon, mais au grand coeur, va aider la petite bande à ramener Dory, le poisson-chirurgien amnésique, auprès de ses parents…

Bénéficiant d’un camouflage naturel (authentique, NDLR) qui lui permet de devenir quasiment invisible ou de prendre la couleur de son choix, il est également capable de se mouvoir hors de l’eau. Ce qui lui permet de transporter Dory à travers le parc aquatique du film.

En réalité, Hank n’a aucune envie de retrouver l’océan, au fond duquel il semble n’avoir que de mauvais souvenirs. il y aurait même laissé un de ses huit tentacules… Son espoir est d’être envoyé dans un aquarium à Cleveland, où il pourrait finir sa vie bien tranquille, en solitaire… mais les circonstances vont faire de lui un héros.

Finalement, libre et vivant dans l’océan, Hank remplace Monsieur Raie comme enseignant auprès des élèves.

(**) Le site Disney Planet explique que “Hank ne possède que sept tentacules suite à un souci d’animation avec huit où ça ne fonctionnait pas très bien.”
Caisey Xavier (2019). Poulpe commun (Octopus vulgaris). Ifremer. https://image.ifremer.fr/data/00679/79134/

SEPT – LA SCIENCE

Une fiche documentaire de l’Ifremer (Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer, 2021) prcise que “en Occitanie, le poulpe roc figure parmi les espèces phares débarquées par la petite pêche côtière (…) En 2019, d’après les données VALPENA (outil cartographique des activités de pêche) du CRPMEM-Occitanie, 83 navires dits “petits métiers” pratiquaient la pêche du poulpe, au pot, à la nasse ou à l’aide des deux engins…”

Et de constater : “Sur la façade méditerranéenne française, et en particulier en Occitanie, la petite pêche au poulpe roc s’est massivement développée depuis 2010, résultant en un doublement des volumes débarqués en une décennie. Aujourd’hui, la stabilité des abondances MEDITS et des débarquements chalutiers sont des indicateurs plutôt rassurants sur l’état du stock, bien qu’il soit impossible de qualifier son exploitation de durable en l’absence d’évaluation…”

Mais il faut prendre garde car, comme le souligne le document de l’Ifremer : “Une caractéristique des stocks hypervariables comme le poulpe roc est qu’ils s’effondrent sans prévenir, d’une année sur l’autre comme cela a pu être observé au Maroc en 2002 (Yagi et al., 2009), et notre capacité aujourd’hui à anticiper ce type d’effondrement est quasi-nulle…”

Si l’Occitanie “est de loin la principale région débarquante (~88 % des tonnages en 2018-2019), des débarquements importants de poulpes roc en PACA sont observés pour le secteur de Port-de-Bouc (~12 %), tandis que les volumes débarqués plus à l’Est (Marseille et au-delà) restent négligeables (<1 %).”

Et plus précisément, “que ce soit pour les petits métiers ou les chalutiers, le secteur du Grau-du-Roi (Gard) est celui qui débarque le plus de poulpes roc, et représente sur les dernières années le tiers de la production méditerranéenne française. Enfin, les débarquements de poulpes roc ont une forte composante saisonnière, avec en général de plus gros débarquements les mois d’hiver (octobre-mars.)”

HUIT – THEODORE MONOD ET… LES BEATLES

On doit à Théodore Monod, l’idée que si quelque espèce devait survivre à l’homme et prendre sa place à la tête de la création, le poulpe serait sans doute le mieux placé pour briguer ce poste. C’est dans son livre Et si ‘laventure humaine devait échouer (éd. Grasset, 2000 et en Livre de Poche) que le géologue, botaniste, archéologue, homme d’engagement et de foi “éclaire les rapports profonds et complexes entre l’homme et la biosphère.

Il écrit : “Les céphalopodes possèdent des organes des sens très développés, des yeux aussi perfectionnés que les nôtres, et on croit pouvoir avancer aujourd’hui que les pieuvres ont une mémoire. L’évolution reprendrait, non pas là où l’homme l’aurait laissée, mais à un stade antérieur, et se poursuivrait encore quelques millions d’années. Pour sortir de l’eau et respirer l’air sous sa forme gazeuse, les céphalopodes devraient redécouvrir à leur tour les poumons comme ils devraient apprendre à protéger leurs oeufs contre la dessiccation…”

Pure spéculation, certes, afin d’alerter l’Homme sur la l’urgente nécessité d’avoir “un jour la sagesse de respecter la vie…” A méditer en écoutant Octopus’s Garden (1969) des BeatlesI’d like to be / Under the sea / In an octopus’ garden / In the shade…

Philippe MOURET

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