Aéroport en Andorre : La résistance au projet “délirant” commence à décoller

Un collectif interpelle le gouvernement andorran et Emmanuel Macron contre un équipement qui serait réalisé à 2 000 mètres d’altitude en 2026 et qui serait une aberration écologique et sociale. Un collectif transpyrénéen est en cours de constitution.

“Un projet d’aéroport pour touristes aisés à 10 kilomètres d’un parc naturel est un non-sens et une atteinte à l’environnement. Pourquoi ne pas moderniser les lignes de chemins de fer existantes ?” Le coeur de la polémique se pose d’emblée dans une tribune à Libé. Celle-ci est cosignée par des responsables politiques et des associations qui interpellent le chef du gouvernement andorran et les coprinces d’Andorre, dont Emmanuel Macron.

On y trouve Claude Benet, ancien ministre andorran du Commerce, du tourisme et de l’industrie, Fiona Mille, présidente de Mountain Wilderness France, David Berrué, porte-parole du groupe Europe écologie-les Verts (EE-LV) Pyrénées catalanes et Marcel Ricordeau, co-président du Comité écologique ariégeois (CEA).

Un aéroport international pour accueillir une clientèle fortunée sur ses pistes…

C’est très sérieusement que la chambre de commerce andorrane l’envisage. À près de 2 000 mètres d’altitude. Avec l’ambition affichée d’attirer des clientèles haut de gamme en provenance de Russie, d’Asie ou du Moyen-Orient, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. Alors que la pandémie sévit ; que les stations de ski ne voient pas une seule descente de skieur de tout l’hiver pourtant si enneigé ; le petit pays enclavé, coprésidé par la France, décide de lancer une étude pour se bâtir un aéroport international pour accueillir une clientèle fortunée sur ses pistes, dans ses centres de balnéothérapie…

Il se situera, si tous les feux passent au vert, entre Grau Roig et le Pas-de-la-Case, à 2 000 mètres d’altitude, réchauffé, prouesse parmi tant d’autres, par un soi-disant système de géothermie, et à seulement quelques kilomètres de la France… Ouverture annoncée en 2026 avec une piste de 1 800 mètres de long pouvant accueillir des avions moyen courrier de dernière génération. Toutes les destinations sont envisagées dans un rayon de 6 000 km. Coût envisagé : 344 M€, “dont 44 % pour améliorer la dimension écologique”.

Vers un collectif transpyrénéen

“Nous avons une foule de demandes d’organisations militantes pour nous demander comment elles peuvent être utiles et participer à un mouvement plus large contre cet aéroport”, confie David Barrué. C’est bientôt le moment : avec la concomitance des élections régionales et cantonales dans un mois et dans un an la présidentielle, les planètes s’alignent pour une contestation davantage partagée. Ce noyau de signataires de la tribune pourraient permettre de créer “un collectif transpyrénéens avec des chercheurs, des spécialistes de la montagne, notamment d’Occitanie, de spécialiste de l’environnement et beaucoup de citoyens”, explique David Barrué.

“Ça s’arrêtera quand ces grands projets…?”

Les Pyrénées en beauté. Photo : Olivier SCHLAMA

Le militant EELV ajoute : “Le gouvernement andorran est tiède sur ce sujet mais il y a des lobbies très importants à l’oeuvre autour de la CCI andorrane. C’est pour cela que nous interpellons le gouvernement andorran et Emmanuel Macron qui en est le coprince. Andorre, c’est un joyaux au coeur des Pyrénées qui dispose déjà d’un réseau de pistes de ski, partiellement artificialisées ; qui met en route un projet de téléphérique… Ça s’arrêtera quand ces grands projets… ? Et si Macron le veut, il a un argument de taille à faire valoir : cet aéroport international sera une porte d’entrée pour tout étranger hors CEE dans l’espace Schengen à partir  de laquelle on pourra entrer très facilement en France et en Espagne…”

Lui-même guide de canyoning, David Barrué pose la question de “l’interdépendance de la Catalogne, la France, l’Espagne et Andorre. Certes, Andorre est un territoire enclavé mais cette question de l’aéroport pose la question de l’avenir même des Pyrénées. D’ici 10 ans ou 20 ans, qu’en sera-t-il de l’énergie carbonée, de l’essence, pour venir dans les Pyrénées en voiture, par exemple ? Nous pensons qu’il faut développer, entre autres, les mobilités douces, comme le train.”

Un aéroport financé avec des fonds turcs ?

De son côté, l’ancien prof d’anglais Claude Benet, ancien ministre du Commerce d’Andorre, classé à gauche, mais retiré de la vie politique, renchérit : “Il y a un paysage magnifique à préserver. Et si ce projet se concrétise, c’est tout le domaine skiable, qui sera à proximité des nuisances aériennes, qui sera menacé, en plus du changement climatique qui s’accélère en montagne. La crise nous montre que l’avion actuel n’est pas une solution d’avenir et a démontré sa vulnérabilité. Par ailleurs, argue-t-il encore, le gouvernement andorran dispose d’un budget de 450 M€ et n’a pas les capacités de se payer un tel aéroport”, dit-il.

L’ancien ministre rapporte, de plus, que ce “seraient des fonds turcs” qui financeraient cet équipement international. “Qu’en sera-t-il dans ces conditions de la souveraineté andorrane…?”, pose-t-il. L’ancien ministre ajoute que “le gouvernement andorran dit qu’il prendra position une fois les études d’impact qui seront connues. On n’a pas besoin de les attendre ! Il faut que les pilotes d’avion aient une formation très pointue ; il faut faire avec une météo parfois très difficile à 2 000 mètres d’altitude, etc.”

Comment demander aux citoyens de faire des efforts (…) pendant que l’empreinte carbone des nantis s’envole sans qu’on ne leur demande de comptes ?”

Dans la tribune, Claude Benet et les autres signataires ajoutent : “Quel sera l’impact sonore du passage d’avions dans ces vallées, en partie classées par l’Unesco ? La viabilité économique du dispositif repose sur des prévisions de trafic d’au moins mille passagers par jour, un demi-million par an : sérieusement ? Comment, par ailleurs, demander aux citoyens de faire des efforts pour moins dépendre de la voiture individuelle, investir dans la rénovation énergétique de leur logement, avoir un mode de vie plus sobre, etc. pendant que l’empreinte carbone des nantis s’envole sans qu’on ne leur demande de comptes ?”

Une foule d’élus sont silencieux sur ce sujet. Interpellé, Pierre Bataille qui a succédé à Jean Castex comme conseiller départemental et qui est devenu depuis un an président de la communauté de communes qui va des Angles à Font Romeu, dit, sans ambages : “Quand on est un territoire isolé comme le nôtre, on ne peut qu’en penser le plus grand bien… Mais je le rappelle quand même, ça n’est qu’au stade du projet. Et entre le stade du projet et la réalisation, le chemin est très long !”

Olivier SCHLAMA

“Privilégions les modes de transports plus respectueux de notre environnement”

Hermeline Malherbe est la présidente du département des Pyrénées-Orientales.

Présidente du département des P.-O., Hermeline Malherbe réagit à propos de ce projet d’aéroport en Andorre. En premier lieu sur le contexte. “Aujourd’hui, dit-elle, en cette période de crise économique, sociale, sanitaire et environnementale, est-ce que cela a encore du sens de prévoir des transports aériens aussi coûteux, avec un bilan carbone élevé dans un espace naturel exceptionnel ? La réponse est non.”

Gare de Latour-de-Carol

Hermeline Malherbe, présidente des P.-O. Photo : Département des PO.

La présidente ajoute : “A l’heure de l’urgence climatique, privilégions les modes de transports plus respectueux de notre environnement. Le Département, la Région et le Parc Naturel Régional des Pyrénées Catalanes, travaillent sur le transport ferroviaire avec le développement de la gare internationale de Latour-de-Carol et le train de nuit que nous avons réussi à sauver pour accueillir notamment des touristes depuis Paris.”

Conforter la RN 116, la RN 20 et le Train jaune

Sans oublier l’argument de l’aménagement du territoire.  “En outre, l’Andorre n’est pas coupée du monde. Cela mérite que tout le monde – comme la Région, le Département et le Parc essayent de le faire avec les autres acteurs – pour conforter la RN 116 (la RN 20 aussi) et le Train jaune.” Hermeline Malherbe renchérit à propos de la dimension écologique : “L’installation d’un aéroport à proximité d’un des plus grand site Natura 2000 de France et le plus grand site terrestre d’Occitanie Pyrénées Méditérannée, pour la faune et la flore (35 000 hectares Capcir Carlit Campcardos) remet en cause toute la politique européenne de préservation des espaces naturels : Natura 2000 sert notamment à concilier les usages de ces espaces.”

Trop néfaste

Et de trancher : “Comment concilier les nuisances sonores, les émissions de gaz à effet de serre et l’artificialisation d’un nouveau secteur à 2 000 mètres d’altitude… avec les espaces naturels à proximité dont sont friands non seulement les espèces sauvages mais aussi et de plus en plus les touristes ? Ces derniers viennent chercher le calme et l’air pur, qu’allons-nous leur proposer avec cet aéroport ?
Les conséquences de ce projet seraient bien trop néfastes pour notre territoire !”

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