Théorie du complot : selon Eva Sotéras, le phénomène va durer

En poste à l’université Paul-Valéry, à Montpellier, la Perpignanaise Eva Soteras, 28 ans, a obtenu son diplôme de docteur en sociologie le 23 février dernier. Sa thèse est d’une brûlante actualité : “Conspirationnisme. Formation et diffusion d’une mythologie post-moderne.” Pour elle, les théories du complot ne vont pas disparaitre de sitôt.

Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir le conspirationnisme comme thèse ?

Je m’intéressais aux nouveaux mouvements religieux ; à la question des sectes en master ; aux mormons ; aux sociétés dites secrètes. Finalement, avec le professeur Jean-Bruno Renard, spécialiste des rumeurs et légendes urbaines, je me suis intéressée de près au complot. C’est un sujet éminemment d’actualité. Avec Trump. Marine le Pen. Et les affaires de Fillon. Ces thèses-là se développent sur un terreau très fertile. Elles adoptent une grande méfiance envers le “système”. On entend d’ailleurs dans cette présidentielle beaucoup de candidats qui se disent antisystème.

Eva Soteras, au centre, le 23 février 2017, lors de la soutenance de sa thèse à Montpellier. Photo DR

Quelle est votre analyse du phénomène ?

Cette situation est en lien direct avec le contexte social difficile et la crise. Il y a une perte de repères assez généralisée dans la société. Alors, les gens qui sont déboussolés cherchent des repères ailleurs. Dans des courants alternatifs. J’ai justement pris l’exemple dans ma thèse d’un certain déclin du nombre de pratiquants des grands religions monothéistes, parfaitement institutionnalisées. A la place, on assiste à l’apparition d’une multitude de mouvements dits religieux : la tendance new âge, l’ufologie et les extraterrestres, etc. Il y a une mixité de croyances. La croyance s’est déplacée. Quand j’ai commencé mon travail, j’ai trouvé certaines raisons d’adhésion dites spirituelles. Les gens ont besoin de croire. De croire qu’il y’a quelque chose au-dessus de nous qui nous contrôle. C’est le sens du djihadisme. Beaucoup d’autres travaux sont en cours sur le fait que le conspirationnisme emprunte souvent un vecteur  religieux. Et la radicalisation offre une certaine réponse : il y a un lien étroit entre les deux.

C’est devenu une question de société ?

Oui. Le gouvernement s’est emparé de cette question via la Miviludes (1). Celle-ci, dans son dernier rapport de 2015, s’intéresse de près au conspirationnisme. Ce n’est pas pour rien que ce soit la Miviludes, dédiée habituellement qu’aux dérives sectaires, qui est chargée de surveiller ce glissement vers la radicalisation. Qui étudie ce phénomène très présent dans les réseaux sociaux. Ceux qui adhèrent au conspirationnisme ne croient bizarrement pas aux informations pourtant vérifiées des sites d’information sérieux mais acceptent de croire aux sites parfois farfelus voire dangereux. Ils ont besoin de remettre en question ce qui vient d’en-haut. D’où de nombreux pamphlets anti-systèmes. Les médias traditionnels, pour eux, appartiennent au système qui leur apparaît suspect.

Y-a-t-il des solutions mises en oeuvre ?

A la cour d’appel de Montpellier, par exemple, il y a depuis peu un poste d’assistant spécialisé en matière de lutte contre la radicalisation. Il faut dire que Lunel, terre de départ pour la Syrie de plusieurs jeunes, a marqué les esprits. L’idée de ce poste c’est d’étudier ce qui se passe dans la région et mettre en relation les professeurs de l’éducation nationale et le milieu associatif avec la justice pour mieux débusquer les comportements à risques.  C’est aussi d’éduquer sur la laïcité, la religion, etc.Ce qui me paraît important de souligner, c’est que l’on assiste à un glissement du politique vers le religieux. Et vice versa.

C’est-à-dire ?

Ce que j’ai essayé démontrer dans ma thèse, c’est qu’actuellement le politique se recherche une figure prophétique, comme l’incarne Trump qui se croit au-dessus des lois. C’est exactement le même phénomène qui est à l’oeuvre dans le milieu religieux, avec une recherche du prophète qui se croit totalement légitime, lui aussi au-dessus des lois. Le message, c’est, en gros : “Radicalisez-vous, on vous ment”

J’ai aussi voulu montrer que le conspirationnisme s’est immiscé dans toutes les sphères de la société. Trump a crié haut et fort qu’il était un candidat hors système. Il est en lien étroit avec un journaliste américain, Alex Jones, très actif dans la sphère conspirationniste. En France, l’essayiste Alain Soral crie au complot juif et tente de rallier à sa “cause” des gens de tous horizons… On voit aussi apparaître ce phénomène dans le milieu culturel. Au cinéma. dans un certain rap aussi : c’est un moyen artistique de faire valoir le thème de l’anti-système, de la soit-disant injustice. Et ce phénomène complotiste va durer ! Je ne ressens pas dans la société des vecteurs d’accalmie. Du coup, les gens perdus cherchent des pseudos-solutions ailleurs.

                                          Propos recueillis par Olivier SCHLAMA

  • La Miviludes “observe et analyse le phénomène sectaire, coordonne l’action préventive et répressive des pouvoirs publics à l’encontre des dérives sectaires, et informe le public sur les risques et les dangers auxquels il est exposé.”
  • Eva Soteras est rattachée au Lersem (laboratoire d’études et de recherche en sociologie et en ethnologie de Montpellier), composante du Irsa-Cri.