L’invité : Un message pour la Terre, “Get your ass to Mars !”

Trésor de Collectionneur : l'équipage d'Apollo 11 a signé cette photo officielle pour notre chroniqueur

« Et autour, il y a cette fine, très fine couche d’atmosphère. Il n’y a rien de plus. » A Noël 1968, Franck Borman décrit ainsi la Terre depuis l’orbite lunaire. A bord d’Apollo-8, il est le premier homme, avec ses compagnons Jim Lovell et Bill Anders, à contempler notre planète flottant dans le système solaire, dans le noir de l’espace.

A l’époque, tout est historique dans l’exploration spatiale. Le premier homme, la première femme, la première sortie dans l’espace, le premier rendez-vous… Tout le monde fait ses gammes, avant le grand voyage (lire aussi notre Dossier https://dis-leur.fr/dossier-lespace-nouvelle-frontiere-pour-loccitanie/)

Comme me l’a expliqué John Young, commandant de bord d’Apollo-16 : « Rien n’existait, nous avions tout à inventer, nous rédigions nos manuels et nos procédures nous-mêmes. » Cette conversation a eu lieu justement à la Cité de l’Espace de Toulouse, en décembre 1998, lorsqu’il était venu y apporter un échantillon (n° 15499) de roche lunaire, prêté par la NASA.
Mon autre plus beau souvenir de la Cité de l’Espace ? Le jour de mon anniversaire ! Trois douzaines de cosmonautes, astronautes et spationautes, ainsi qu’une quinzaine de journalistes, y avaient été réunis en juillet 1998, pour inaugurer la réplique de la station russe Mir. Je m’y trouvais en qualité d’envoyé spécial de Midi Libre.

Passionné par l’exploration spatiale depuis mes dix ans, je glissai sans malice à la directrice de la communication : « Je suis très gâté, pour mon anniversaire. » A la fin du repas en commun, Claudie Haigneré, Anatoly Soloviev et Paul Lockhart s’approchent de moi. En me tendant un cadeau, la cosmonaute française me souhaite un joyeux anniversaire, l’un de ses compagnons le répète en russe et l’autre en anglais. Avant que toutes les tablées entonnent l’hymne de circonstance. Un très intense moment de ma vie professionnelle. Et personnelle, surtout.

« Espace, frontière de l’infini… »

Combien de fois ai-je entendu ce mantra, en ouverture de chaque épisode de Star Trek. Je n’y ai jamais accordé d’importance : comment un infini pourrait-il posséder une frontière interne, surtout en fonction de l’aire de l’exploration humaine ? Une frontière constitue un trait de crayon que l’on trace, puis que l’on dépasse et que l’on surpasse. De l’astrophysique à la biologie, ces frontières que l’on imaginait gravées pour l’éternité ne sont en réalité que limites éphémères. Des contingences – nourries des connaissances et croyances de leurs époques, soyons justes – les avaient instituées en barrières infranchissables. Elles se sont toutes dissoutes dans l’Univers réel, que nous décrivons point par point, qui nous abrite et dont nous sommes tous issus.

En 1903, un professeur de physique de la Sorbonne déclamait à ses étudiants : « La physique est terminée. » Deux ans plus tard, un obscur employé du Bureau suisse des brevets publiait son premier article sur la Relativité restreinte. Albert Einstein venait de briser ces barrières conceptuelles, pour ouvrir l’esprit humain à une réalité bien plus vaste, bien plus longue.

Certes, il existe trop de zéros, que ce soit vers l’infiniment grand comme vers l’infiniment petit, dans l’espace et dans le temps. Tout est question de positionnement de la virgule, entre les milliards d’années-lumière et les milliardièmes de millimètres. Peu importe. L’essentiel réside dans notre capacité à mesurer, appréhender, donc comprendre le monde dans lequel nous vivons. Comme des enfants qui voient pour la première fois un jouet dans leurs mains, un ruisseau qui coule, une voiture qui passe. Et qui demandent : « C’est quoi ? Comment ? Pourquoi ? »

Harrisson Schmidt (Apollo 17) le douzième et dernier hommeà avoir posé le pied sur la Lune. Ici près d’un rocher lunaire géant, dans la vallée de Taurus-Littrow. (Photo : Nasa-Gene Cernan)

Parler avec des astronautes, cosmonautes ou spationautes français, américains et russes m’a rappelé cette strophe d’une chanson de Jean Gabin : « Je sais qu’on ne sait jamais. » Pour la dire et la ressentir, il y faut de l’observation, du questionnement, de l’introspection. De l’humilité, surtout.
Ces femmes et ces hommes en possèdent assez, assurément, pour prendre de la réelle hauteur par rapport aux événements terrestres. Il n’est que de lire les tweets de Thomas Pesquet, l’actuel spationaute français à bord de la station spatiale internationale (jusqu’au 2 juin), pour s’en convaincre.

Robots ou humains ?

Soixante ans, en octobre prochain, après le lancement du premier satellite artificiel de la Terre Spoutnik-1 (compagnon-1) par l’URSS, que reste-t-il de cette merveilleuse épopée ? Et surtout, que nous promet-elle ? L’homme ou la machine ? Les anciens ou les modernes ? La main ou la sonde ?

Sur Mars, deux robots explorent la surface de notre voisine. A l’échelle du système solaire, évidemment. Curiosity, avec son réacteur nucléaire -ben oui, ça peut aider pour les missions longues ! -a identifié des sédiments et des composés chimiques, indices d’une activité géologique et marine intense, il y a des milliards d’années. Pour sa part, Opportunity – certifié pour 3 mois de fonctionnement et qui caracole encore 13 années après son poser – explore méthodiquement les abords du cratère Guseiev.

Autour de Mars, satellites américains, européens et indien “se tirent la bourre” pour obtenir les meilleures mesures et images de la planète rouge. Tout en travaillant ensemble, en net le premier réseau interplanétaire. La recherche de la vie ailleurs que sur Terre fait partie également des grands défis de ces prochaines années. Les deux prochaines sondes européennes, ExoMars, auront pour mission d’en découvrir au moins des traces, à l’instar du petit sous-marin américain, qui ira sonder les profondeurs de l’océan sous-glaciaire d’Europe, près de Jupiter.

Plus loin, vingt ans après son lancement, la sonde Cassini virevolte dans l’espace entre Saturne et ses anneaux, avant de fondre en larmes de métal dans la haute atmosphère de la planète géante, en septembre prochain. Son atterrisseur européen Huygens, en 2004, nous a fait découvrir les paysages insensés de Titan, le satellite aux mers de méthane liquide.

Encore plus loin, le 14 juillet 2015, la sonde New Horizons nous a révélé les solitudes glacées et la géologie active de Pluton. Avant de s’élancer vers la planète naine 2014-MU-69, qu’elle survolera en janvier 2019.
Et pendant ce temps ? Les hommes continuent à tourner autour de leur planète natale. Comme s’ils n’avaient pas envie de s’en détacher. Comme prisonniers d’un carcan conceptuel, torsadé surtout par des règles comptables apparemment implacables.

« La Terre est le berceau de l’homme. Mais on ne passe pas toute sa vie dans son berceau », écrivait joliment Konstantin Tsiolkovsky, le génial visionnaire russe des voyages interplanétaires. En fait, tout ceci est dépassé.

Voir plus loin

Il n’existe pas – sauf raisons politiques ou budgétaires, et encore… de contradictions entre la robotique et l’humain. Il existe d’abord une volonté : « On le fait… ou pas ? On prend des risques… ou pas ? » Tout le reste n’est que mise en musique. Certes, de très importants facteurs humains sont à prendre en compte. Nos ancêtres ont-ils fait fi de ces risques pour explorer leur propre planète ? Oui !

“Get your ass to Mars !” Michael Collins s’associe au mot d’ordre de son ami et coéquipier Buzz Alldrin

Parcourir les sables de Mars ou sonder les glaces d’Europe, c’est le travail des robots. Les Lunar Orbiter et autres Surveyor ont pavé le chemin, dans les années soixante, pour que Neil Armstrong pose le pied sur la Lune, le 21 juillet 1969. Quarante années auront été nécessaires aux humains pour achever leur première reconnaissance complète du système solaire. De Mercure à Pluton, des satellites tournent, mesurent, photographient ; des rovers roulent, creusent, analysent in situ.

Il faut à présent que la main de l’Homme y mette le pied ! Si vous me passez l’expression. Sur ce point, Buzz Aldrin, pilote du module lunaire d’Apollo-11, milite, à 84 ans, pour un débarquement rapide sur la planète rouge.

Comme tout pilote d’essai, son parler un peu cru lui permet de résumer sa pensée de manière lapidaire : « Get your ass to Mars ! » (« Amenez votre c… sur Mars ! »)
La nouvelle fusée lourde américaine, nom de code SLS, n’effectuera son vol inaugural Terre-Lune-Terre qu’en 2019 – si les interférences politiques aux États-Unis cessent pour les laisser bosser tranquilles… – Un premier voyage vers Mars n’aura donc pas lieu avant 2022, voire 2025.

A cette époque, j’aurai 69 ans. Mais comme un certain 21 juillet 1969, je serai devant mon écran, pour regarder le premier humain se promener dans la poussière rouge et sous un ciel rose. Et comme à l’âge de 13 ans, je sais que mon coeur battra aussi fort.

PHILIPPE DAGNEAUX

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