Lagunes : Un “quatre étoiles” à base d’huître pour oiseaux migrateurs

Christophe Guinot est ostréiculteur à l'étang de Salses-Leucate (Aude) a été primé ce mercredi. ses coquilles d'huîtres recouvrent des îlots de cet étang et font revenir les oiseaux migrateurs menacés. Aujourd'hui, des dizaines de couples de sternes naines et de pierregarins et leurs poussins y ont élu domicile. Photo : DR.

Scientifiques et professionnels découvrent les vertus de la coquille d’huître qui n’est plus considérée comme un déchet encombrant, sans filière établie de recyclage. Les solutions sont peut-être devant nos yeux. Comme l’a mis en oeuvre un ostréiculteur-naturaliste de Salses-Leucate qui vient d’être primé à Ajaccio. Christophe Guinot mène depuis 2016 avec le parc naturel de la Narbonnaise une initiative simple, peu coûteuse, et réussie : recouvrir des îlots des anciens salins de Sigean de coquilles concassées. Les oiseaux menacés des lagunes plébiscitent et reviennent nicher en nombre sur le littoral. L’Europe salue l’initiative, une première en France. Par ailleurs, à Sète et dans le bassin de Thau, on explore d’autres pistes de recyclage des huîtres languedociennes.

C’est une idée toute simple. Une première en France. Et qui, devrait faire florès. Les oiseaux des lagunes méditerranéennes prospéreront parce que l’on aura réintroduit les coquilles d’huîtres, un “produit finalement noble”, dans la nature.  Cet inventeur du quotidien s’appelle Christophe Guinot, ostréiculteur de l’étang de Salses-Leucate (Aude). Le producteur est le tout récent lauréat du prix pôle-relais lagunes méditerranéennes 2017 sur le thème “économie et biodiversité”. Pour son initiative conjointe avec le parc naturel régional de la narbonnaise (PNR) en Méditerranée. Cette remise du prix a eu lieu à Ajaccio mercredi, à l’occasion des 7e Assises nationales de la biodiversité.

Des élèves du lycée agricole de Narbonne étalent des coquilles d’huîtres sur l’ilôt créé sur l’ancien salin Tallavignes à Sigean (Aude). Photo : C. Lauzier/PNR la Narbonnaise.

Il a pensé à utiliser les coquilles d’huîtres – déjà neuf tonnes depuis 2016 – de son mas conchylicole pour que celles-ci, légèrement concassées, aillent ensuite recouvrir trois îlots créés en 2016 dans les anciens salins de Sigean pour la reproduction des laro-limicoles coloniaux, ces oiseaux menacés, que l’Europe cherche à protéger.Ces résidus d’huîtres, du calcaire inerte en somme, les oiseaux migrateurs en raffolent pour nicher. C’est leur quatre étoiles.

Aujourd’hui, la réussite est évidente : des dizaines de couples de sternes naines et pierregarins et leurs poussins y ont élu domicile !  Pour la Sterne naine, par exemple, l’évolution est très positive : 700 couples en 2011 pour 1108 couples en 2016 sur l’ensemble de la façade méditerranéenne française. Et, pour la Sterne pierregarin, environ 1250 couples en 2011 pour 2344 couples en 2016 sur l’ensemble de la façade méditerranéenne française.

Une sterne pierregarin. Photo : Christophe Pin.

Christophe Guinot, son fils Yohann et son épouse Martine se sont engagés en 2016 auprès du PNR de la Narbonnaise à valoriser leurs déchets d’exploitation. Au plus près de chez eux et à peu de frais. Au lieu d’être coûteusement ramassées ou hypothétiquement transformées, ces coquilles sèchent quelques jours au soleil pour les débarrasser des derniers résidus (morceaux de citron, restes de beurre, pain…) L’objectif : favoriser la nidification des laro-limicoles coloniaux, ces oiseaux du littoral (sternes, mouettes, petits goélands et avocettes élégantes) menacés qui se reproduisent au sol sur des îlots peu ou pas végétalisés, et qui affectionnent tout particulièrement ce type de substrat pour construire leur nid. Car l’homme ne fait que réparer : “Ces oiseaux, qui nichent à terre, ont toujours recherché des sols recouvert de sable coquillés (à base de coquillages naturellement concassés). Mais les îlots ont disparu du littoral méditerranéen, à la faveur, largement lié à l’urbanisation massive, notamment après la mission Racine et la construction des stations balnéaires. Depuis, les  échanges de sédiments sont très perturbés, explique Virginie Mauclert, coordinatrice du pôle relais-lagunes, basé à la Tour du Valat, basé à Arles (un institut de recherche pour la conservation des zones humides).

“Ils peuvent se raconter des histoires d’amour, se reproduire…”

En tout cas, “les coquilles d’huîtres semblent, à Sigean, même permettre aux sternes de passer plus inaperçues vis-à-vis des prédateurs en favorisant leur mimétisme. Cette initiative présente également l’avantage d’éviter des coûts d’enfouissement des coquilles d’huîtres et de réutiliser un matériau local peu valorisé”, explique-t-on du côté de la Tour du Valat. « Dans nos cabanes, au bord des parcs à huîtres, détaille Christophe Guinot, nous avons développé un service de dégustation sur place. Et une fois les huîtres dégustées, avec le PNR de la Narbonnaise, je rends les coquilles à la nature, je les renvoie là d’où elles viennent, plutôt que de les enfouir avec des déchets moins nobles.” Ce tri volontaire opéré toute l’année évite ainsi un enfouissement coûteux des coquilles en décharge. Ce qui est intéressant dans cette initiative, c’est la philosophie de cet ostréiculteur, qui agit en circuit court et de façon vertueuse. Accessoirement, ça ne lui coûte rien, en tout cas bien moins que d’enfouir ou recycler.

La syterne naine recolonise les lagunes méditerranéennes. Photo : Christophe Pin.

Les oiseaux migrateurs, de nature farouches, qui nichent sur ces îlots entourés d’eau, ne sont plus dérangés ou tués par le moindre prédateur comme les chiens errants. ” Ils peuvent ainsi se raconter des histoires d’amour et se reproduire”, formule Christophe Guinot. “Je ne pensais vraiment pas que ce que je fais simplement puisse intéresser des spécialistes. C’est une surprise. C’est un geste simple. Ce n’est pas un exploit, ajoute l’ostériculteur-naturaliste, des oiseaux migrateurs et participe à la préservation de nos espaces lagunaires dont notre activité dépend.” Christophe Guinot est conscient de l’intérêt multiple des coquilles d’huîtres depuis des années. Il les réservait, par exemple, à des particuliers qui les donnaient à manger aux poules pour durcir la coquilles de leurs oeufs ; ou les donnaient à des voisins qui s’en servent pour combler des ornières de chemins, etc.”Je rends à la nature ce qu’elle m’offre. J’espère, dit-il, que nous allons donner des idées à d’autres parcs naturels. Et que s$ce sera épidémique. On peut même imaginer d’autres applications pour la coquille d’huître !”

“C’est la première expérience partenariale du genre en France à base de coquilles d’huîtres”, note Christelle Galindo, des Amis des Marais du Viguérat qui coordonne le projet européen Life + envol qui couvre l’Occitanie, Paca et la Corse. Mieux, une fois concassées, ces huîtres locales vont recouvrir des îlots des marais salants abandonnés qui, grâce à cette expérimentation, se mettent à  revivre ! Pour Pierre Santori, vice-président du PNR de la Narbonnaise, « la construction des îlots marque un tournant dans l’histoire des anciens salins de Sigean à l’abandon depuis tant d’années, aujourd’hui propriété du Conservatoire du littoral et destinés à la préservation de la biodiversité…”

Olivier SCHLAMA

Salses-Leucate : un label international !

La France vient de faire de l’étang de Salses-Leucate sa 46e zone humide d’importance internationale. Le site (Site Ramsar n° 2307), qui se compose de l’étang et des zones humides de la périphérie, est une zone côtière méditerranéenne typique. Le courrier est tombé ce jeudi.

Des habitats très variés, au taux de salinité, à la profondeur et à la végétation qui diffèrent, offrent des conditions favorables à une myriade d’espèces végétales et animales, en particulier des oiseaux tels que la bécassine des marais Gallinago gallinago localement rare et le courlis cendré Numenius arquata, des tortues telles que la cistude d’Europe Emys orbicularis, des chauves-souris, comme le murin de Capaccini Myotis capaccinii, une espèce Vulnérable, et un grand nombre de poissons, notamment l’anguille d’Europe Anguilla anguilla, En danger critique d’extinction.

Le site est également important pour la pêche qui recours encore à des techniques traditionnelles, et pour ses fonctions régulatrices de maîtrise des crues, épuration de l’eau, recharge et écoulement des eaux souterraines.

L’atténuation des effets, sur le site, d’un tourisme et d’activités récréatives intenses, reçoit une attention spéciale. Parmi les équipements mis à la disposition des visiteurs, il y a un centre d’interprétation et des sentiers tout autour de l’étang et, en été, diverses activités de sensibilisation du public sont organisées. Au nombre des menaces potentielles, on peut citer l’urbanisation, le drainage, la salinisation et les espèces exotiques envahissantes. Un plan de gestion du site est en place et un plan de restauration est en préparation.

L’huître et le bassin de Thau dans une démarche pilote

Le bassin de Thau (Hérault) est le premier à avoir lancé une filière de collecte et de traitement de ses déchets conchylicoles. Plusieurs milliers de tonnes de déchets coquillés sont traitées chaque année à l’usine du Mourre Blanc à Mèze. Ce service est géré par le Syndicat mixte du bassin de Thau en relation avec le comité régional conchylicole de méditerranée et les professionnels. Son exploitation est assurée par la société Coved depuis 2007 par délégation de service public. Un nouveau procédé de traitement et le vif intérêt des marchés pour les matières à forte teneur en calcaire ouvrent de nouvelles perspectives en termes de valorisation. En voici les principales pistes.

Première et courte étape pour les coquilles issues de la lagune de Thau : la carrière de Poussan. Ce site engagé dans une démarche de reconstitution paysagère offre un débouché immédiat et une boucle courte de valorisation.

Autre débouché, les coquilles vont pouvoir servir à amender les sols pour les cultures viticoles pour combler le déficit en calcaire, mais aussi servir  d’habitats artificiels pour les juvéniles. Les coquilles d’huîtres sont également utilisées depuis 2016 dans la création des zones refuges, ces habitats artificiels implantés dans les ports et destinés à favoriser la réimplantation de la biodiversité. Il s’agit de dispositifs constitués de cages en acier remplies de coquilles d’huîtres. Il existe encore un projet de réutilisation dans les procédés d’épuration sur certaines cultures.

Yves Michel, nouveau président du Syndicat mixte du bassin de Thau, souligne ces avancées : « Le traitement des déchets coquillés est en constante amélioration sur notre territoire. Après la résolution des problèmes de nuisances olfactives, l’obtention de la certification ISO 14001, la mise en place de ce nouveau procédé de traitement permet de regarder les déchets coquillés d’un autre œil. Leur valorisation sur la carrière de Poussan est sans doute l’un des circuits de valorisation les plus courts de la filière déchet. »

Mais aussi les moules qui épurent l’eau

Les recherches sur les procédés d’épuration des eaux usées ont mis en avant une nouvelle source de débouchés pour les coquilles de moules. Celles-ci seraient un support idéal pour fixer les bactéries utilisées pour épurer l’eau. Le procédé par cultures fixées est plus onéreux que le procédé par culture libre mais il présente des rendements bien meilleurs. Il est souvent utilisé pour les usines qui disposent de peu d’espace. Cette piste de valorisation est encore à perfectionner.

Il existe aussi des pistes de réutilisation en sable coquillier, amendement, usages alimentaires et même cosmétiques. Très récemment une collaboration vient d’être envisagée avec un site de production conchylicole suédois, en mer baltique, qui souhaite bénéficier de l’expérience du bassin de Thau sur ce thème.

Activité emblématique de ce territoire, la conchyliculture et ses 1 200 emplois directs sont d’une im-portance primordiale pour la vitalité économique du bassin de Thau.