Économie : Les Scops investissent l’ex-Midi-Pyrénées

Rencontre avec Muriel Decout, directrice de l’Union régionale des Scops de l’ex-Midi-Pyrénées, l’une des structures d’animation de coopératives les plus anciennes de l’Hexagone qui vient de fêter ses 80 ans. Une réussite qui compte 247 entreprises sous forme coopérative, soit 107 de plus qu’en ex-Languedoc-Roussillon. Le point avec cette spécialiste à quelques mois de la fusion des deux unions régionales. “Les gens recherchent, dit-elle, à s’investir dans des entreprises qui leur permettent de donner du sens à leur travail…”

Quelles sont les missions de l’Union régionale des Scops ?

Nous sommes une association qui fédère l’ensemble des Scops (sociétés coopératives et participatives) de l’ex-Midi-Pyrénées et on est le représentant local du mouvement des coopératives. Nous avons des missions équivalant à un syndicat professionnel sauf que ce n’est pas sur une profession mais un statut. Représentation, défense des intérêts des adhérents, etc. Nous avons par ailleurs une mission de développement du mouvement avec des actions d’accompagnement lors de la création de la scop mais aussi tout au long de leur vie.  Nous faisons de l’aide au développement. De l’intervention quand elles sont en difficulté, etc. De telle sorte qu’elles puissent évoluer le mieux possible.

Muriel Decout. Photo : DR.

La structure que vous dirigez vient de fêter ses 80 ans ?

Oui, c’est l’une des plus anciennes unions régionales. Les scop ont commencé à se fédérer au niveau national à la fin du 19e siècle. Elles étaient encore clairsemées à l’époque. En 1937, en Midi Pyrénées – un peu élargie car il n’y avait pas encore cette notion de région- étaient aussi concernées aussi les Pyrénées-Atlantiques et les Landes, la Lozère et l’Aude. Et il n’y avait que 16 coopératives sur ce grand périmètre qui ont alors décidé de se réunir.

AG festive, concerts, mise en route du train de Jaurès…

Nous avons fêté ces 80 ans avec une AG festive avec projection d’un film que l’on a réalisé à partir d’archives de l’INA (Institut national de l’audiovisuel) sur les scops de la région (1). Ce dimanche matin 16 juillet, l’orchestre de chambre de Toulouse donnera un concert gratuit à Cologne (Gers), sous la halle, dans le cadre d’une journée organisée par une Scop appelée le Comptoir des Colibris ; en septembre, nous avons une autre Scop, les Editions 138, qui publie un magazine gratuit, Clutch, sur Toulouse, qui recense tous les événements culturels du toulousain  et qui fête, elle, ses cinq ans. Ce sera une manifestation avec un concert, un événement à destination des moins de 30 ans, la cible de Clutch. On s’associe également avec l’Union des commerçants, artisans et industriels de Carmaux (Tarn) pour une manifestation autour du train de Jaurès, avec une mise en route de ce train à vapeur mythique qui amènera les coopérateurs et d’autres gens intéressés à Carmaux.

Quel est le bilan de cette union régionale ?

D’une part un constat, ce que l’on voit assez nettement, pendant assez longtemps, elles se sont assez peu développées au début et pour une raison juridique : elles ne pouvaient exister que sous forme de société anonyme. Les premières Scops sont nées vers 1850, à l’époque de la révolution industrielle avec des conditions salariales du prolétariat assez difficiles. Des salariés ont essayer de subsister différemment. Cela se croise avec des réflexions de penseurs économiques et politiques qui réfléchissent à d’autres modèles.

Dans l’ex-Midi-Pyrénées, on compte 247 scops. Jusqu’à il y a trois ou quatre ans une moyenne autour d’une quinzaine de créations par an. On est depuis deux ou trois ans à trente créations par an et là, à fin juin, on en avait déjà vingt-deux. On est sur une courbe très ascendante. Sur les 247 Scops, environ 30% sont dans le bâtiment. Cela s’y prête bien : c’est un travail d’équipe, sur des chantiers ; il y a aussi une forte tradition autour du mouvement des Compagnons. Beaucoup de Scops sont gérées par des Compagnons.

Sur ces 247 Scops, il y en a, par ailleurs, dans presque tous les secteurs d’activités. On a l’orchestre de chambre de Toulouse ; Ethiquable qui fait du commerce bio et équitable ; Scopélec qui fait de la téléphonie ; des Biocoop, des architectes, géomètres, des cabinets conseil, des boîtes d’informatique, des théâtres… Jusqu’à il y a un an et demi, les vétérinaires ne pouvaient pas en être : leur ordre s’y opposait. Tout ce qui autoiur de la médecine n’est pas ouvert au Scops. Là où c’est plus difficile, ce sont des secteurs qui demandent de très gros investissements. Quoique nous en avons également. On a la fonderie Gillet, à Albi, qui a déjà fait de lourds investissements.

“Jusqu’en 1984, Scop signifiait reprise d’entreprise en difficulté”

Comment expliquez-vous cette réussite ?

Plusieurs choses. D’abord, les Scops se sont créées lentement parce que jusqu’en 1978, ce n’était possible que sous forme de société anonyme ; il fallait avoir sept salariés-associés, ce qui n’est pas si simple que ça, freinant beaucoup la création de scops, à l’époque. Ensuite, il a été possible de se créer sous forme de SARL. Mais encore avec un minimum de quatre salariés associés. Et ce n’est qu’en 1984 que les scop ont pu se constituer avec deux salariés associés simplement. Donc, déjà, on a une capacité à accueillir des projets un peu moins ambitieux au démarrage. Ensuite, depuis une dizaine d’années, les scops ont commencé à faire parler d’elles. Et essayé de se faire connaître. Jusque-là, elles n’existaient que dans le cadre de reprises d’entreprises en difficulté.

Du coup, il y avait une association d’idées négatives dans les esprits, que ce soient les banquiers, le grand public ou autre, Scop = entreprise en difficulté. En plus de cela, aujourd’hiu, les valeurs qui sont préconisées par les scop sont des valeurs qui ont un écho dans la population. Les gens recherchent à s’investir dans des entreprises qui leur permettent de donner du sens à leur travail, d’avoir un minimum d’autonomie, de pouvoir participer aux décisions, etc. Il y a tout un tas d’attentes des salariés dans la façon de fonctionner.  Avec la volonté de s’inscrire dans des démarches collaboratives, et participatives qui correspond au modèles développé dans les Scops depuis longtemps.

 N’est-ce pas compliqué à gérer, une Scop ?

Cela demande les mêmes qualités que pour n’importe quel dirigeant en terme de capacité de gestion. Cela demande aussi des capacités personnelles de leadership qui sont nécessaires parce qu’il faut avoir l’envie de partager de discuter, de faire de la pédagogie. De convaincre. En même temps, ce que disent les dirigeants de scops, c’est ce cela les conforte. Comme ils sont élus par leurs collègues, s’ils sont à cette place-là, c’est que les autres considèrent que c’est lui le meilleur pour jouer ce rôle. C’est un peu comme dans une équipe de sport. Le capitaine doit être reconnu par les autres. Et ça lui donne pas mal de légitimité.

Quel est le modèle de la Scop ?

Ce sont des sociétés qui appartiennent aux salariés. Ce qui veut dire qu’ils sont majoritaires en capital et en droits de vote. C’est une entreprise démocratique où les décisions se prennent sous la forme de un homme, une voix et non pas plus j’ai de capital plus je pèse dans les décisions. Chacun a le même poids dans les décisions. La 3e  caractéristique, c’est que la répartition des résultats se fait d’une façon prédéfinie par les statuts de la Scop : systématiquement une partie des résultats va être distribuée à l’ensemble des salariés ; au moins 25% du bénéfice et cela peut aller jusqu’à 84%.

En moyenne sur l’ensemble des Scops de France, c’est 45% qui sont redistribués. Il y a une autre partie qui va doter des réserves : là c’est au moins 16% au maximum 75% et en moyenne c’est 45% aussi et puis la rémunération du capital sera plafonnée à 33% et c’est en moyenne 10%. La dernière caractéristique c’est que la partie qui est mise en réserve elle est impartageable : c’est à dire qu’il n’y a pas de plus value possible sur les parts sociales. Ce sont des entreprises qui sont transmises de génération en génération aux salariés qui arrivent au fur et à mesure. Il n’y a pas de revente de ces entreprises ou de délocalisation possible. Elles sont très ancrées sur les territoires.

Vous allez fusionner avec votre homologue de l’ex-Languedoc-Roussillon ?

Une seule union régionale Occitanie est en effet en projet courant 2018 au plus tard. En ex-Languedoc-Roussillon, il y a 140 Scops.

Propos recueillis par Olivier SCHLAMA

Voici le lien du film des 80 ans : https://www.youtube.com/watch?v=N_Pp3jDpVkc